Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/71

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d’une sœur, et devant laquelle le gamin se prosterna. Après l’avoir serrée sur sa poitrine en pleurant à sanglots, il prit son petit paquet ; et, le bras droit posé devant les yeux, il s’élança dans la rue.

La face pâle et morne d’un jour d’hiver s’avançait languissamment, voilée d’un brouillard glacial. Les spectres des navires se transformaient avec lenteur en lourdes masses noires ; et le soleil, qui, d’une teinte sanglante, montait derrière les mâts et les vergues, paraissait plein des débris d’une forêt qu’il avait incendiée.

Lizzie, restée sur la porte, ayant aperçu de loin son père, dont elle guettait l’arrivée, alla se mettre au milieu de la chaussée afin qu’il pût la voir. Il ne ramenait que son bateau et revenait rapidement. Un groupe de ces créatures amphibies qui paraissent avoir la faculté mystérieuse d’extraire de la Tamise des moyens d’existence rien qu’en la regardant, lorsque la marée monte, se tenaient sur la chaussée. Dès que le bateau d’Hexam eut abordé, les causeurs baissèrent rapidement les yeux, et le groupe se dispersa. Lizzie vit alors que la réprobation commençait.

Gaffer s’aperçut également de quelque chose, car en mettant le pied sur la rive, il regarda autour de lui et parut étonné. Mais il se remit à la besogne, attira son bateau, l’amarra solidement, puis en enleva la corde, le gouvernail et les rames ; et Lizzie venant à son aide, il prit avec elle le chemin de la maison.

« Approchez-vous du feu, père ; je vais m’occuper du déjeuner. Asseyez-vous ; il est tout préparé ; je vous attendais pour le faire cuire. Vous devez être gelé, pauvre père !

— Il est certain que je n’ai pas chaud, ma Lizzie. J’avais les mains si froides qu’elles en étaient clouées aux godilles ; vois comme j’ai les doigts morts.

Leur pâleur, peut-être celle de sa fille, lui rappela sans doute quelque pénible souvenir, car il détourna la tête en les dressant devant la flamme.

« Est-ce que par cette nuit si froide vous étiez dehors, père ?

— Non, mon enfant ; j’étais auprès d’un bon feu, à bord d’une barge ; du charbon plein la grille. Ou est le garçon ?

— Voilà un peu d’eau-de-vie, père ; mettez-en dans votre thé pendant que je vais retourner la viande. Si la rivière prenait, il y aurait bien de la misère, n’est-ce pas ?

— Il n’y a pas besoin de cela, répondit Hexam en se servant de l’eau-de-vie goutte à goutte, afin d’en verser plus longtemps pour qu’il parût y en avoir davantage. La misère est toujours là,