Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/78

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— Voilà, dit-il ; ne croirait-on pas qu’il est vivant ? Je l’ai posé sur une branche d’où il songe à partir. Ayez-en bien soin, c’est un charmant spécimen ; — et trois pence font quatre. »

L’enfant a empoché sa monnaie, et vient de tirer la porte par une lanière de cuir qu’on y a clouée à cette intention, lorsque Vénus s’écrie : « Arrêtez ce jeune coquin ! arrêtez-le ! il m’a pris une dent avec ses demi-pence.

— Comment l’aurais-je prise votre dent ? puisque c’est vous qui m’avez remis la monnaie. J’en ai assez des miennes, d’ailleurs ; je n’ai que faire des vôtres, piaille le gamin, en cherchant l’objet réclamé qu’il jette sur le comptoir.

— Ne m’insultez pas dans le vicieux orgueil de votre jeunesse, répond Vénus d’un ton pathétique. N’accablez pas un homme abattu ; je suis assez éprouvé sans cela. Cette dent aura glissé dans le tiroir ; il en tombe partout ; j’en ai trouvé deux ce matin dans la boîte au café : deux molaires.

— Eh bien ! alors, riposte te gamin, pourquoi que vous dites des sottises aux gens ? »

À quoi Vénus répond en secouant sa tignasse poudreuse et en clignant ses yeux rouges :

« Ne m’insultez pas dans le vicieux orgueil de votre jeunesse ; ne me frappez pas parce que je suis abattu. Vous n’avez nulle idée du petit volume auquel vous seriez réduit si j’avais préparé votre squelette ? »

Cette dernière considération paraît produire son effet, car le gamin s’esquive précipitamment.

« Hélas ! hélas ! soupire Vénus en mouchant la chandelle, le monde, qui semblait jonché de fleurs, a cessé d’en avoir ! Vous regardez la boutique, mister Wegg ; permettez que je vous l’éclaire. Voici mon établi, celui de mon jeune homme, un étau, les outils, des os de différentes sortes, des crânes variés, un bébé hindou, conservé dans l’alcool ; id., africain ; des bocaux renfermant diverses préparations. Tout ce qui est à portée de la main est parfaitement conservé. Les objets attaqués sont au-dessus ; je ne me rappelle pas exactement ce qu’il y a dans les mannequins placés tout en haut ; mais ce sont différentes pièces du corps de l’homme. Voici des chats, un squelette de bébé anglais, des canards, des chiens, un assortiment d’yeux d’émail ; un oiseau momifié, des épidermes desséchés de différentes sortes. Hélas ! hélas ! Vous n’avez qu’un aperçu des objets qui se trouvent ici, un coup d’œil général. »

Après avoir promené sa chandelle fumeuse devant ces objets hétérogènes, qui, tour à tour, avaient semblé répondre à son appel et s’étaient replongés dans les ténèbres, mister Vénus soupire de