Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/85

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cette étiquette : domaine harmon. Les yeux du bonhomme en étaient à cette boîte, lorsque apparut mister Lightwood. Il arrivait, disait-il, de chez le proctor[1]où il était allé précisément pour les affaires de mister Boffin.

« Et vous en êtes tout fatigué ! » dit celui-ci avec commisération.

Sans répondre que sa lassitude était chronique, mister Lightwood exposa que, toutes les formalités ayant été remplies, le testament approuvé, la mort de l’héritier direct bien et dûment reconnue, etc., etc., la cour de Chancellerie ayant statué, etc., etc., ledit Lightwood avait enfin la satisfaction, l’honneur, le bonheur, etc., de féliciter mister Boffin de son entrée en jouissance, comme légataire universel, etc., d’un capital de plus de cent mille livres déposé à la Banque d’Angleterre.

« Ce qu’il y a surtout d’agréable dans cette fortune, mister Boffin, c’est qu’elle ne donne aucun embarras, continua le solicitor. Pas de domaine à gérer, de capitaux à recouvrer dans les moments difficiles, et à raison de tant pour cent, ce qui est un moyen excessivement coûteux de faire mettre son nom dans les journaux. Pas d’élections qui vous échaudent ; pas de régisseurs qui écrèment le lait avant qu’il arrive sur votre table. Vous pouvez mettre le tout dans une cassette, et l’emporter avec vous demain matin… je dirai aux Montagnes Rocheuses : Puisque, ajoute Lightwood avec un indolent sourire, il n’est pas un homme que la fatalité ne contraigne un jour ou l’autre à parler familièrement de ces montagnes à l’un de ses semblables, j’espère que vous voudrez bien m’excuser si je vous envoie d’urgence à cette chaîne assommante, véritable scie géographique. »

Mister Boffin, qui n’avait pas suivi cette dernière phrase très-attentivement, jeta un regard perplexe tantôt au plafond, puis sur le tapis, où il l’arrêta.

« Je ne sais que répondre à tout cela, dit-il ; mais, voilà qui est sûr, je me trouvais aussi bien comme j’étais. C’est une affaire que de s’occuper d’une si grosse somme !

— Alors, cher monsieur, ne vous en occupez pas.

— Hein ? fit l’ancien boueur.

— Maintenant, reprit Lightwood, à vous parler avec la sottise irresponsable d’un homme privé, non avec la profonde sagesse d’un conseil judiciaire, je vous dirai que si le poids de cette fortune accable votre esprit, une consolation vous est offerte, car il est facile de l’amoindrir. Si vous redoutez l’embarras que peut vous causer cette dernière tâche, vous avez encore cette pensée

  1. Avoué près les tribunaux civils et ecclésiastiques.