Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/97

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seoir sur un banc ; mais j’espère qu’avec le temps il en sortira quelque chose. Dis, ma vieille, qu’en penses-tu ? »

La souriante créature, ample de corps, simple de cœur, les mains croisées sur son giron, et le cou gaillardement plissé, commença l’exposé de ses désirs.

« Je pense qu’il nous faut une belle maison, dans un beau quartier, avec de belles choses autour de nous, une bonne table et une belle société. Je dis qu’il nous faut vivre suivant nos moyens, sans faire de folies ; mais vivre bien heureux.

— Moi aussi ; bien heureux, approuva le mari, toujours pensif.

— Miséricorde ! s’écria missis Boffin en frappant dans ses mains et en se balançant à force de rire, miséricorde ! je me vois déjà dans un grand carrosse jaune à deux chevaux, et des boîtes d’argent aux moyeux.

— Comment ! tu penses à un carrosse ?

— Oui, continua l’heureuse créature ; nous aurons un grand laquais par-derrière, qui se tiendra tout droit, avec une barre pour empêcher le timon des voitures de lui frapper les mollets. Et par-devant un petit cocher, enfoncé dans un grand siège trois fois trop grand pour lui, et tout recouvert de tentures vertes, à garnitures blanches. Et deux grands chevaux bais, secouant la tête et levant bien haut les jambes en trottant le long du chemin ! Et puis nous deux à l’intérieur, toi et moi, Noddy, appuyés tout au fond, aussi roides que des quilles ! Oh ! oh ! oh ! ah ! ah ! ah !

Missis Boffin se balança de nouveau en riant aux larmes, battit des mains, trépigna de joie, et s’essuya les yeux.

« Maintenant, ma vieille, demanda le bonhomme, après avoir ri par sympathie, quelles sont tes vues à l’égard du Bower ?

— S’en aller ; mais ne pas le vendre ; on le fera garder par quelqu’un.

— As-tu encore d’autres idées, la vieille ? »

Elle quitta son canapé, alla s’asseoir sur le banc, à côté de son mari ; puis accrochant de son bras dodu celui de Nick :

« La première chose à faire, dit-elle, c’est de nous occuper de cette pauvre fille. Vois-tu, Noddy, j’y pense tous les jours de grand matin, et le soir encore bien tard. Elle a été si malheureuse ! Perdre à la fois son mari et sa fortune ! Ne trouves-tu pas, Noddy, que nous devons songer à elle ? La prendre avec nous, ou quelque chose comme cela ?

— Et dire, s’écria le brave homme en frappant sur la table avec admiration, dire que je n’y avais pas pensé ! Quelle machine