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L’AMI COMMUN.

le testament ; et que je devais épouser ce malheureux gentleman, si toutefois je lui avais plu. J’ai été, comme vous, mêlée à cette histoire, et sans mon consentement, comme vous l’avez été vous-même ; il y a donc entre nous beaucoup de rapport.

— J’ai compris tout de suite qui vous étiez, répliqua Lizzie. Pourriez-vous me dire le nom de cet ami inconnu ?

— De qui parlez-vous ? demanda Bella.

— De celui qui a obtenu la justification de mon pauvre père, et qui me l’a fait parvenir. »

Bella ignorait qui ce pouvait être ; elle n’en avait pas le moindre soupçon.

« Il m’a rendu un grand service ; je serais heureuse de lui témoigner ma reconnaissance. Vous me demandiez si cette calomnie…

— Est pour quelque chose, interrompit Bella, dans le désir que vous avez…

— Qu’on ne sache pas l’endroit que j’habite ? acheva miss Hexam ; oh ! non. »

Tandis qu’elle secouait la tête en faisant cette réponse, et que du regard elle interrogeait le feu, il y avait dans ses mains croisées une résolution qui ne fut pas perdue pour les yeux brillants de sa compagne.

« Vous êtes bien seule, reprit Bella.

— C’est vrai ; mais j’y suis habituée ; j’ai presque toujours été seule, même du vivant de mon père.

— N’avez-vous pas un frère ?

— Oui, mais nous ne nous voyons pas ; c’est néanmoins un très-brave garçon, qui s’est élevé par son travail, et je ne me plains pas de lui. » Elle regardait le feu en disant ces mots, et une expression douloureuse passa sur son visage. Bella s’en aperçut, et lui touchant la main : « Je voudrais bien savoir, dit-elle, si vous avez une amie ; j’entends une femme de votre âge.

— Non, répliqua Lizzie ; j’ai toujours vécu très-isolée ; je n’ai jamais eu de compagne.

— Ni moi non plus, dit Bella ; non pas que j’aie vécu dans l’isolement. J’aurais même souvent mieux aimé être seule que d’avoir Ma, posant en muse tragique dans un noble coin, ou Lavvy dans ses accès de malice ; j’ai cependant beaucoup d’affection pour elles. Voulez-vous me prendre pour amie ? J’ai une tête de linotte ; mais on peut se fier à moi, je vous en réponds. Croyez-vous pouvoir m’aimer ? »

Cette nature mobile, mais affectueuse, légère faute d’un but qui l’attirât, sans autre lest que des caprices à satisfaire, et par conséquent fantasque, n’en était pas moins très-séduisante. Ce