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L’AMI COMMUN.

ment de sa confiance. « Je ne regrette qu’une chose, dit-elle, c’est de ne pas en être plus digne.

— Plus digne ! répéta Lizzie avec un sourire.

— Je ne dis pas sous le rapport de la discrétion, reprit Bella ; on me mettrait en morceaux avant de m’en arracher une syllabe ; et il n’y aurait pas de mérite à cela, car je suis entêtée comme un âne. Mais vous ne savez pas, ma Lizzie ! je suis d’un égoïsme insolent, et vous me faites rougir de moi-même.

— Ma chère ! s’écria Lizzie en relevant ses cheveux que Bella avait dénoués, tant elle lui avait secoué la tête avec force.

— C’est très-bon à vous de m’appeler votre chère, et cela me fait plaisir, bien que je ne le mérite pas ; je suis une si vilaine fille !

— Ma chère ! s’écria de nouveau Lizzie d’un ton de reproche.

— Si froide, si basse dans ses calculs ! si bornée, si mauvaise ! enfin une petite brute sans âme.

— Croyez-vous donc, répliqua Lizzie en souriant, que je n’ai pas meilleure opinion de vous ?

— Vrai, dit Bella, bien vrai ? Que je serais contente si vous aviez raison ! mais vous ne me connaissez pas. »

Lizzie lui demanda en riant si elle avait jamais vu sa figure, ou entendu sa voix. « Oh ! certes, répondit-elle ; je ne fais que me regarder dans la glace et je babille comme une pie.

— Eh ! bien, moi, il m’a suffi de vous regarder et de vous entendre pour vous confier ce que je ne croyais jamais dire à personne. Ai-je eu tort ?

— J’espère que non, répondit Bella, dont un quelque chose, moitié rire, moitié sanglot, étouffa les paroles.

— Autrefois j’avais l’habitude, reprit Lizzie toujours souriante, d’expliquer à mon frère les images que je voyais dans le feu ; cela l’amusait. Faut-il vous dire ce qu’il y a dans le brasier, à l’endroit où il est le plus ardent. »

Elles étaient debout devant la grille, se tenant par la taille pour se dire adieu, car l’heure était venue de se quitter.

« Faut-il vous dire ce qu’il y a là ?

— Une petite brute… soupira Bella en relevant les sourcils.

— J’y vois, interrompit sa compagne, j’y vois un cœur valant bien d’être gagné, capable de traverser le feu et l’eau pour rejoindre celui qui le méritera ; un cœur fidèle et sûr, que rien ne pourra ni changer, ni abattre.

— Cœur de jeune fille ? demanda Bella d’un air rêveur.

Lizzie fit un signe affirmatif. « Et le visage auquel il appartient ?… poursuivit-elle.

— Est le vôtre, dit vivement Bella.