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L’AMI COMMUN.

— S’il vous plaît, répondit Wegg en se frottant les mains. Je serai bien aise de l’examiner avec vous, cher associé, ou, pour me servir des paroles qui ont été mises en musique il y a peu de temps :

Je désire le voir avec vos yeux,
Et le confirmer avec les miens.

Mister Vénus tira une clef de sa poche, se retourna, ouvrit un meuble, et produisit le testament dont il garda le coin entre les doigts, comme il faisait d’habitude. Mister Wegg, tenant le coin opposé, s’installa sur le siège que venait de quitter mister Boffin, et parcourut le précieux document.

« Fort bien, dit-il avec une extrême lenteur, dans sa répugnance à lâcher prise, fort bien. » Et il regarda d’un œil avide son associé remettre le testament à sa place, tourner la clef, et la replonger dans sa poche.

« Rien de nouveau ? demanda Vénus en se rasseyant derrière le comptoir.

— Si, monsieur, il y a du nouveau : ce matin le vieux ladre…

— Mister Boffin ? dit Vénus en lançant un coup d’œil vers le sourire du crocodile.

— Au diable le mister, s’écria Wegg avec une honnête indignation ; Boffin tout court, Boffin le boueur. Ce chien maudit, aussi rusé qu’avare, envoie ce matin dans la cour, pour se mêler de nos affaires et surveiller notre bien, un garçon à lui, un nommé Salop. « Que demandez-vous, jeune homme ? c’est une cour particulière, » dis-je à ce garçon. Il me présente alors un papier d’une autre canaille au service de ce boueur, qui autorise ledit galopin à surveiller le travail de la cour, et le chargement des voitures. C’est un peu fort ; ne trouvez-vous pas ?

— Rappelez-vous qu’il ne connaît pas nos droits, insinua Vénus.

— D’accord ; c’est pour ça qu’il faut lui souffler la chose, et de manière à l’effrayer ; car, donnez-lui un œuf, et il prendra un bœuf. Laissez-le faire ; vous verrez ce qui arrivera ; il est capable d’enlever tout ce que nous avons. Pour moi, je n’y tiens plus ; il faut que je lui dise son fait, ou j’éclaterai. Chaque fois qu’il met la main à sa poche, c’est comme s’il la fourrait dans la mienne ; chaque fois qu’il fait sonner sa bourse, c’est mon argent qu’il me paraît faire sauter. À la fin on se lasse ; et je ne peux plus attendre ; c’est trop pour une jambe de bois.

— Mais, objecta Vénus, il a été dit qu’on n’agirait qu’après l’enlèvement des monticules ; c’est vous-même qui l’avez décidé.