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L’AMI COMMUN.

côté sur une chaise, les mains sur le dossier, la figure dans ses mains, elle n’avait pas changé d’attitude depuis qu’elle avait retiré son bras de celui du boueur doré. Missis Boffin se leva au milieu du silence, et parut vouloir se diriger vers Bella ; mais son mari l’arrêta d’un signe, et l’obéissante femme se rassit immédiatement.

« Voici votre paye, monsieur, dit le boueur doré en jetant à Rokesmith ce qu’il avait à la main. Après les bassesses que vous avez faites, il ne doit pas vous en coûter de ramasser votre argent.

— Non, monsieur, car je l’ai gagné par un dur travail.

— J’espère que vous faites les paquets un peu vite ; plus tôt vous aurez décampé, mieux ça vaudra pour tout le monde.

— N’ayez pas peur, monsieur, que je m’attarde chez vous.

— Il y a cependant une chose que je voudrais vous demander avant d’être délivré de votre présence, ne serait-ce que pour montrer combien les fourbes de votre espèce s’abusent quand ils supposent qu’on ne voit pas qu’ils se contredisent. Vous prétendez avoir de l’admiration pour cette jeune lady…

— Je ne fais pas que de le prétendre, monsieur.

— Très-bien ; disons que vous l’admirez, puisque vous êtes si pointilleux. Comment alors avez-vous pu croire que cette jeune lady était assez imprévoyante, assez idiote, pour jeter son argent aux girouettes, et courir à toutes jambes au work-house ?

— Je ne vous comprends pas, monsieur.

— C’est pourtant clair. Où en serait-elle maintenant si elle avait écouté vos fleurettes ?

— Si j’avais été assez heureux pour gagner son affection, et posséder son cœur ? est-ce là ce que vous voulez dire, monsieur ?

— Gagner son affection ! répéta le boueur doré avec un ineffable mépris ; gagner son affection ! miaou, fait le chat ; et posséder son cœur ! couac, couac, fait le canard ; et le chien, ouah ! ouah ! Gagner son affection et posséder son cœur ! miaou, miaou ! couac, couac ! ouah ! ouah ! ouah ! »

Rokesmith le regarda avec surprise, croyant à un accès de folie.

« Ce qu’il lui faut, reprit mister Boffin, c’est de l’argent ; elle y a droit, et elle le sait.

— Vous lui faites injure, monsieur.

— Moi ! c’est vous qui l’insultez avec vos affections, vos cœurs et toutes vos calembredaines ; ça va de pair avec le reste. Je n’ai appris votre conduite qu’hier soir ; autrement j’en aurais parlé plus tôt, soyez-en sûr. Je le tiens d’une personne