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L’AMI COMMUN.

dit qu’elle était ici. Alors Ma est allée voir une atroce vieille femme à Portland-Place, qui a un turban ; j’ai dit qu’elle me faisait peur, et que je ne voulais pas monter, que pendant ce temps-là j’irais avec la voiture déposer des cartes chez les Boffin… Excusez-moi, ce n’était pas bien parler ; mais, bonté du ciel ! ma pauvre tête ! et le phaéton qui est à la porte ! Si Pa le savait ! miséricorde !

— Rassurez-vous, chère enfant, dit mistress Boffin ; vous êtes venue me voir et…

— Eh ! non, s’écrie la pauvre petite. C’est très-impoli, je le sais bien ; mais je suis venue pour Sophronia, ma seule amie. Que j’ai souffert de notre séparation, avant de savoir que vous étiez ruinés ; et que je souffre bien plus maintenant ! »

La pauvre petite miss au cœur tendre, à la tête faible, se jette au cou de missis Lammle, et de vraies larmes jaillissent des yeux de l’arrogante créature.

« Mais je suis venue pour affaire, reprend Georgiana qui sanglote, s’essuie les yeux et fouille dans un petit sac. Si je ne me dépêche pas, tout sera manqué. Bonté divine ! que dirait Pa, s’il le savait ? Et Ma ! que dira-t-elle si je la laisse attendre à la porte de ce turban ? Et il n’y a jamais eu de chevaux comme les nôtres pour piaffer et me faire perdre l’esprit, quand j’en ai le plus besoin. Quand je pense qu’ils vont et viennent, en piaffant, dans la rue de mister Boffin, où ils ne devraient pas être ! Mais où est-ce donc, où est-ce donc ? Je ne le trouve pas ! »

Et sanglotant, et fouillant toujours dans le petit sac,

« Qu’est-ce que vous ne trouvez pas, ma chère ? demande mister Boffin.

— Bien peu de chose : parce que Ma me traite toujours comme une enfant. — Je voudrais bien l’être encore ; je serais avec une gouvernante au lieu d’être avec elle ; — mais je ne dépense rien, et cela monte à quinze livres. C’est bien peu, Sophronia ; mais prenez-les tout de même. Cela vaut mieux que rien. Encore autre chose : bonté divine ! je l’ai perdu ! Oh ! non : le voilà. »

Et pleurant, sanglotant, fouillant dans le petit sac, Georgiana tire un collier.

« Les enfants et les bijoux ne vont pas ensemble, dit toujours Ma, ce qui fait que je n’en ai pas d’autres. C’est ma tante Hawkinson qui me l’a donné par testament. J’avais coutume de penser qu’on aurait bien fait de l’enterrer avec elle, puisqu’il est toujours au fond d’une boîte, enveloppé dans du coton ; mais le voilà ; il va enfin servir ; j’en suis bien reconnaissante. Vous le vendrez, Sophronia, et vous achèterez des affaires avec.

— Je m’en charge, dit mister Boffin en prenant le collier.