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L’AMI COMMUN.

Chose risible que de voir le malheureux Noddy, en proie à la plus vive agitation, trottiner légèrement à côté de Silas Wegg, et celui-ci, haletant et sautillant, s’efforcer de le suivre, guettant d’un œil avide le moindre battement des cils du boueur, car cela pouvait indiquer l’endroit où dormait quelque trésor. Jamais scène plus grotesque ne s’était passée à l’ombre des monticules.

Le quart d’heure écoulé, mister Wegg clopina vers la salle, et rentra n’en pouvant plus. Quant à mister Boffin, il se jeta sur son banc d’un air de désespoir, et les mains si profondément enfouies dans ses poches, que celles-ci paraissaient défoncées.

« Que faire ? s’écria-t-il ; à quoi bon résister, puisque je ne trouve rien ! Il faut en passer par là ; mais je voudrais voir le testament. »

Silas, qui ne demandait qu’à terminer l’affaire, répondit à Boffin qu’on allait le contenter. Il lui planta son chapeau derrière la tête, puis s’arrogeant sur le vieux boueur, corps et âme, un droit absolu, il le prit par le bras, et le conduisit de la sorte chez Vénus, dont la collection ne renfermait pas d’objets plus hideux que cet affreux mister Wegg.

L’anatomiste aux cheveux roux, complètement ébouriffé, marchait derrière Boffin, qui, trottinant de toutes ses forces, entraînait Silas dans de fréquentes collisions avec les passants, ainsi que l’aurait fait, à l’égard de son maître, un chien d’aveugle préoccupé.

Ils gagnèrent enfin Clerkenwell, où ils arrivèrent quelque peu échauffés par la vitesse de la course, surtout la jambe de bois. Suant et haletant, mister Wegg se bouchonna la tête avec son mouchoir de poche, et resta quelques minutes sans pouvoir prendre la parole.

Pendant ce temps-là, Vénus, qui avait laissé les grenouilles ferrailler à la lueur de la chandelle, pour la délectation du public, alla fermer les contrevents, et une fois la porte close, dit à Silas, toujours en nage :

« Je crois, monsieur, que le papier en question peut être produit.

— Un instant, répliqua Silas, un instant ; voudriez-vous avoir l’obligeance de me pousser la caisse de fragments divers, qui m’a servi de siège plus d’une fois, et de la mettre ici. » Mister Vénus poussa la caisse au milieu de la boutique, ainsi qu’il lui était demandé. « Très-bien, dit Wegg en jetant les yeux autour de lui ; voudriez-vous, monsieur, me passer la chaise qui est près de vous. »

Il prit cette dernière des mains de l’anatomiste, la posa sur la