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L’AMI COMMUN.

enfant, voyez-vous, c’est toujours un enfant. » Elle pleura plus longtemps qu’on ne l’aurait supposé. Toutefois ses larmes se séchèrent, et s’étant bassiné les yeux, elle descendit, et prépara les tasses.

« Ça vous fâcherait-il, marraine, si je taillais quelque chose pendant que nous prenons le thé ?

— Chère Cendrillon, répondit le vieillard d’un ton suppliant, ne vous reposerez-vous jamais ?

— Oh ! tailler un patron ce n’est pas une fatigue, dit miss Wren, dont les habiles petits ciseaux avaient déjà entamé le papier. C’est que, voyez-vous, j’ai besoin de le fixer pendant que je l’ai présent à la mémoire.

— Vous avez donc vu cela aujourd’hui ? demanda le Juif.

— Oui, marraine, tout à l’heure. C’est un surplis ; une chose que portent les prêtres, expliqua la petite habilleuse, se rappelant que le vieillard était d’une religion différente.

— Et qu’en voulez-vous faire ? reprit le bon Israélite.

— D’abord, marraine, il faut vous dire que nous autres artistes, qui vivons de notre goût et de notre imaginative, nous sommes forcés d’avoir toujours l’œil ouvert. Vous savez que dans ce moment-ci j’ai un surcroît de dépenses ; il m’est donc venu à l’idée, pendant que je pleurais sur la tombe de ce pauvre enfant, qu’on pourrait faire quelque chose d’un prêtre.

— Quoi donc ! s’écria le vieillard.

— Pas un enterrement, n’ayez pas peur. Le monde, je le sais, n’aime pas qu’on l’attriste. Il est fort rare qu’un deuil me soit commandé par mes jolies pratiques ; un vrai deuil, s’entend ; car pour le deuil de cour elles en sont assez fières. Mais un charmant prêtre, cheveux et favoris d’un noir de jais, célébrant le mariage d’un couple adorable, ce serait tout autre chose. Si vous ne les voyez pas ce soir tous les trois à l’autel, dans Bond-Street, appelez-moi Jack Robinson. »

À l’aide de ses petits procédés, mis en œuvre sur-le-champ, il y eut, avant la fin du repas, un petit costume ecclésiastique en papier gris, mis sur le dos d’une poupée, afin d’en essayer le patron ; miss Wren le montrait à son ami quand on frappa à la porte. Le vieux Juif alla ouvrir, et revint aussitôt avec un gentleman, qu’il introduisit de cet air grave et courtois qui lui allait si bien.

L’arrivant était inconnu à miss Wren ; mais dès qu’il jeta les yeux sur elle, Jenny trouva chez ce gentleman quelque chose qui lui rappelait mister Wrayburn.

« Mille pardons, n’êtes-vous pas l’habilleuse de poupées ? dit-il.