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L’AMI COMMUN.

— C’est donc Handford ? reprit Bella.

— Pas du tout, répéta l’excellente femme en frappant dans ses mains et en secouant de nouveau la tête, pas du tout, pas du tout.

— Je suppose au moins qu’il s’appelle John, dit Bella.

— Je crois bien, dit l’excellente créature ; je l’ai appelé John assez de fois dans ma vie. Mais ce n’est pas du petit nom que je parle ; c’est de l’autre. Voyons, ma charmante, quel est son vrai nom ?

— Je ne devine pas, dit-elle en les regardant tour à tour.

— Eh bien ! moi je l’ai deviné, s’écria missis Boffin, deviné tout d’un coup, un beau soir, comme par un éclair. N’est-ce pas, Noddy ?

— C’est pourtant vrai ! dit le boueur avec orgueil.

— Écoutez-moi, mignonne, poursuivit l’excellente femme en prenant la main de Bella entre les siennes, et en la frappant de temps à autre. C’était un soir où le pauvre John était bien triste ; le lendemain du jour où il avait ouvert son cœur à une certaine jeune fille qui avait refusé ses offres. Dans son chagrin, il avait résolu de partir pour aller je ne sais où ; et c’était le soir même qu’il devait nous quitter. Mon Noddy avait besoin d’un papier qui se trouvait chez le secrétaire, et je lui dis : reste-là, je vais aller le demander. Je frappe à la porte ; il ne m’entend pas. J’entre tout doucement ; je le vois assis près de la cheminée, et regardant la braise d’un air pensif. Quand il releva les yeux, il se mit à sourire, comme si ma compagnie ne lui avait pas déplu. Alors tous les grains de poudre qui s’étaient amassés dans ma tête, depuis la première visite qu’il nous avait faite, s’enflammèrent tout à coup. Je l’avais vu trop de fois assis comme cela, tout seul, quand il était enfant, pauvre ange ! tirant la pitié du cœur ; je l’avais vu trop de fois ayant besoin d’être consolé, bien trop de fois pour que ce fût une méprise. Non, non, je ne me trompais pas. Je jette un cri : « Je vous reconnais, que je lui dis, vous êtes John ! » et il me retient au moment où j’allais tomber. De sorte qu’à présent, ma belle, dit l’excellente femme avec le plus radieux sourire, vous savez le nom de votre mari.

— Cela ne peut pas être Harmon, balbutia Bella ; c’est impossible.

— Pourquoi cela, quand il y a tant de choses impossibles qui existent ? demanda missis Boffin.

— Mais il a été tué, murmura la jeune femme.

— On l’a cru, mignonne ; voilà tout. Si jamais il y a eu sur terre un John Harmon, c’est bien celui dont le bras vous entoure,