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L’AMI COMMUN.

gent bébé porté par missis Boffin, et toujours le regard fixe ; enfin Noddy qui fermait la marche.

Sur la toilette de Bella, toilette exquise, un coffret en ivoire, rempli de bijoux comme jamais elle n’en avait rêvé ; puis au dernier étage une nursery de toutes les couleurs, véritable arc-en-ciel, qu’on avait eu beaucoup de peine, disait John, à faire achever en si peu de temps.

La visite terminée, on vint prendre l’intelligent bébé, dont les cris emplirent bientôt l’arc-en-ciel. Bella disparut immédiatement ; les cris cessèrent, et la paix souriante s’unit à cette jeune branche d’olivier.

« Allons la voir, Noddy, » s’écria missis Boffin.

Marchant sur la pointe du pied, Noddy se laissa conduire à la nursery, dont la porte était entr’ouverte, et regarda avec une immense satisfaction. Il n’y avait là pourtant rien autre chose que Bella assise au coin du feu sur une chaise basse, les yeux protégés contre la flamme par ses longs cils baissés, et qui, son enfant dans ses bras, était plongée dans une douce rêverie.

« Ne te semble-t-il pas, Noddy, que l’âme du bonhomme a enfin trouvé le repos ? chuchota missis Boffin.

— Oui, ma vieille.

— Comme si son argent, qui s’était rouillé dans l’ombre, redevenait brillant et commençait à luire au soleil.

— Oui, ma vieille.

— Un joli tableau, n’est-ce pas, Noddy ?

— Oui, ma vieille. »

Mais pensant qu’il fallait conclure, et trouvant l’occasion favorable, il reprit de sa voix la plus bourrue : « Un joli tableau ? miaou, couac couac, ouah ouah ! » Puis il s’éloigna en trottinant, la figure radieuse, et les épaules dans un état de commotion des plus vives.


XII

ÉCHEC ET MAT


Le jour où mister et missis Harmon prenaient possession de leur nom légitime et de leur superbe hôtel, la dernière charretée du dernier monticule sortait de la cour du Bower. En la voyant cahoter sur la chaussée, mister Wegg se sentit délivré d’un poids énorme, et salua l’heureux moment où Nicodème Boffin, ce mouton noir, allait enfin être tondu.