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L’AMI COMMUN.

Lorsqu’il prit possession de l’héritage que la nouvelle de ma mort lui assurait, mister Boffin trouva cette bouteille, et se désola outre mesure de ce nouveau testament. Les termes dans lesquels mon malheureux père, bourreau de lui-même, nous déshéritait ma sœur et moi, jetaient sur notre mémoire un blâme qui navrait mister Boffin. Lui, qui avait connu notre enfance, savait que nous ne méritions pas cette injure ; il enterra donc la bouteille, et son contenu, dans le monticule dont il avait toujours été légataire ; et il est probable que vous en avez souvent approché dans vos fouilles impies, misérable ingrat ! L’intention de mister Boffin était de ne jamais montrer ce testament. Toutefois, si généreux que fût le motif qui lui faisait cacher cette pièce, il n’osa pas la détruire dans la crainte de faire une chose illégale. Lorsqu’il m’eut reconnu, mister Boffin, toujours inquiet au sujet de cette bouteille, m’en révéla l’existence sous certaines conditions qu’un chien de votre espèce ne saurait apprécier. J’insistai pour qu’il la déterrât, et pour que le testament fût produit et légalement reconnu. Vous avez assisté au premier de ces actes ; le second a été fait sans que vous en eussiez connaissance. Par conséquent le papier qui tremble dans vos mains quand je vous secoue, et puissé-je vous secouer à vous faire rendre l’âme, ne vaut pas plus que le bouchon de cette bouteille. »

À en juger par sa mine piteuse, et par la quasi défaillance qui venait de le saisir, Silas avait compris.

« Deux mots encore, reprit John en le retenant dans son coin ; si je les ajoute, c’est dans l’espoir qu’ils augmenteront votre dépit. Vous aviez fait une véritable découverte ; personne n’avait regardé à l’endroit où vous avez trouvé cette cassette, et ce n’est que par Vénus, qui l’a dit à mister Boffin, que nous avons connu votre aubaine. J’avais pourtant l’œil sur vous depuis mon entrée dans la maison, et Salop se faisait un devoir et un plaisir de ne pas vous quitter plus que votre ombre. Si nous avons demandé à mister Boffin de vous laisser votre illusion jusqu’au dernier moment, c’est afin que la chute fût plus lourde. Enfin, poursuivit John en secouant de nouveau le misérable pour lui maintenir l’intelligence ouverte, vous me croyez possesseur de la fortune de mon père, et vous avez raison ; mais je n’y avais aucun droit ; c’est à mister Boffin, à sa munificence que je la dois tout entière. Il ne m’a confié le secret de la bouteille que sous la condition que je prendrais l’héritage qui me revenait par le premier testament, et ne s’est réservé que son propre monticule. Tout ce que je possède je le dois à mister et à missis Boffin, à leur générosité, à leur grandeur, — je ne trouve pas de mot qui exprime ma reconnaissance. Et quand j’ai