« J’espère qu’elle s’est dirigée, pagayée, gouvernée, enfin a conduit sa barque elle-même à la cérémonie ? poursuit avec enjouement la sémillante Tippins.
— Quelle que soit la manière dont elle y est venue, répond Mortimer, elle l’a fait avec grâce. »
Un cri perçant de lady Tippins attire l’attention générale. « Avec grâce ! répète la chère créature. Vous me soutiendrez, Vénéering : il se peut que je m’évanouisse. Ne veut-il pas dire qu’une marinière soit gracieuse ?
— Pardon, lady Tippins, je ne veux rien dire du tout, réplique Lightwood, qui tient parole, et affecte de manger d’un air indifférent.
— Vous avez beau faire, vilain homme, reprend lady Tippins, vous ne m’échapperez pas. C’est très-bien de vouloir couvrir un ami qui s’exhibe de cette façon-là ; mais vous n’éluderez pas la question ; je vous le dirai franc et net : la société n’a qu’une voix sur cette ridicule affaire. Chère missis Vénéering, permettez à la Chambre de se former en comité général et de discuter la chose. »
Missis Vénéering, toujours sous le charme de cette bruyante sylphide, accepte avec enthousiasme. « Oh ! oui, toute la Chambre en comité ; c’est ravissant.
— Que tous ceux qui sont de cette opinion disent oui, ajoute Vénéering ; que tous les autres disent non : ce sont les oui qui l’emportent. »
Malheureusement personne n’écoute cette plaisanterie.
« Voyons ! je suis Président, s’écrie lady Tippins.
— Qu’elle a d’esprit et de verve ! dit missis Vénéering, qu’on n’écoute pas plus que son mari.
— Cette réunion de la Chambre, continue la sémillante Tippins, a pour but d’élucider le fait, afin que la société, dont elle est la commission, puisse se prononcer en connaissance de cause. Voici la question qui vous est soumise : Un jeune homme, très-bien né, d’une physionomie avantageuse, et ne manquant pas de talents, fait-il un acte raisonnable en épousant un marinier femelle, transformé en ouvrière de fabrique ?
— Ce n’est pas tout à fait cela, dit Mortimer ; pour moi, la question est celle-ci : Un jeune homme, tel que lady Tippins vient de le dépeindre, a-t-il bien ou mal fait d’épouser une vaillante femme, qui lui a sauvé la vie avec une énergie et une adresse surprenantes, une jeune fille, — je ne dis rien de sa beauté, — une jeune fille vertueuse, douée de qualités exceptionnelles, qu’il admire, qu’il aime depuis longtemps, et qui lui est profondément attachée.