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L’AMI COMMUN.

Cet ordre exécuté, le vieillard tire un sac qu’il porte sur la poitrine, et, s’en référant pour chaque somme à l’article du livre où elle est mentionnée, il compte l’argent qu’il dépose sur la table. Fledgeby recompte ensuite avec la plus grande attention, et fait sonner chaque souverain.

« Vous n’avez, je suppose, limé aucune de ces pièces, dit-il, en en prenant une qu’il approche de son œil. Les Juifs ont cette habitude ; vous vous entendez, vous autres, à faire ressuer une livre.

— Beaucoup de chrétiens le savent également, répond la vieillard, qui, chacune de ses mains dans la manche opposée, regarde son maître. Puis-je prendre la liberté de vous poser une question ? demande-t-il d’un air de déférence. » Fledgeby lui octroie cette faveur.

« Ne vous arrive-t-il pas, monsieur, oh ! bien certainement sans le vouloir, reprend le vieillard, de confondre la position que j’occupe réellement à votre service, avec le rôle qu’il entre dans vos calculs de me faire jouer ?

— C’est trop fin pour moi, répond froidement Fascination, je ne perds pas mon temps à de pareilles subtilités.

— Par justice, monsieur !

— Au diable la justice ! répond le maître.

— Par générosité alors !

— À propos d’un Juif ! s’écrie Fascination ; le rapprochement est curieux. Donnez les pièces à l’appui de vos comptes, et gardez vos palabres pour un autre. »

Les pièces ayant été produites, elles absorbent pendant une demi-heure le noble esprit du gentleman. Pièces et comptes se trouvant d’une exactitude irréprochable, livres et papiers sont rendus au Juif, qui les remet dans son sac.

« Parlons maintenant, dit Fledgeby, de ce brocantage d’écrits particuliers, notes et autres, la branche de commerce que je préfère. Qu’avez-vous trouvé, en fait de ces drôleries, et combien en veut-on ? Vous en avez la liste ?

— Oui, monsieur, elle est longue, répond le vieillard en tirant un portefeuille où il choisit, parmi beaucoup d’autres, un papier qu’il déplie, et qui devient un grand feuillet tout couvert d’une écriture fine et serrée.

— Fichtre ! siffle Fascination en prenant le papier des mains du Juif. Il paraît que la population est nombreuse à la drôle d’enseigne ; locataires au complet. Comment ce sera-t-il vendu ?

— Comme on voudra, soit en bloc, soit par lots assortis, répond le Juif en suivant du regard la lecture de son maître.

— En bloc, il y en aura la moitié sans valeur aucune, reprend