Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 2.djvu/66

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
62
L’AMI COMMUN.

— Oui, miss. Il a été longtemps sous l’eau ; mais on a fini par l’avoir.

— Qu’on l’amène ici. Vous, Bob, fermez la porte ; mettez-vous à côté, et n’ouvrez pas que je ne vous le dise. La police est-elle en bas ?

— Ici même, dit une voix officielle.

— Quand ils auront apporté le corps, veuillez éloigner la foule, et prêter main forte à Bob pour empêcher qu’on entre.

— Soyez tranquille, miss Abbey. »

Quittant la véranda, l’hôtesse emmena le Juif et sa compagne, les plaça l’un à sa droite, l’autre à sa gauche, derrière la porte coupée du bar, comme derrière un parapet. « Ici, dit-elle, vous n’aurez rien à craindre, et vous le verrez passer. Vous, Bob, allez près de la porte. »

La sentinelle fit faire d’une main leste un dernier tour au bourrelet que ses manches de chemise lui formaient sur l’épaule, et demeura ferme au poste.

Bruit de voix, bruit de pas approchant de la maison ; piétinements et paroles au dehors. Une pause ; deux coups particuliers à la porte, coups étouffés, comme si le défunt, arrivant sur le dos, eût frappé avec la plante de ses pieds inertes.

« C’est le brancard, ou le volet qui leur sert de civière ; dit miss Potterson, dont l’oreille expérimentée savait à quoi s’en tenir. Ouvrez vite, Bob. »

La porte s’est ouverte ; marche pesante de quelques hommes chargés ; halte subite. Au dehors, course précipitée, arrêt de la foule ; bruit de la porte qui se referme ; cris vexés des mécontents.

« Montez, dit miss Potterson ; » car elle a sur tous ses sujets une autorité si absolue que, même en cette circonstance, les porteurs attendent sa permission pour avancer.

Le couloir et l’escalier se trouvant bas et étroits, le noyé qu’on avait assis, fut porté de manière à n’avoir pas la tête beaucoup plus haut que le guichet, lorsqu’il passa dans le corridor. En le voyant, miss Abbey se rejeta en arrière.

« Bon Dieu ! » s’écria-t-elle. Et se retournant vers ses visiteurs, elle leur dit : « C’est Riderhood, celui qui a fait la déclaration que vous m’avez apportée. »