Page:Dickens - L’Abîme, 1918.djvu/39

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— Et la dame ?…

Madame Goldstraw s’arrêta court, regardant encore le portrait. Ce regard exprimait maintenant, à ne point s’y méprendre, un vif sentiment d’alarme.

— Vous voulez parler de ma mère, — dit Wilding.

— Votre mère, — répéta-t-elle d’un air contraint, — votre mère vous a retiré de l’Hospice… Quel âge aviez-vous alors, monsieur ?

— Onze ans et demi, Madame Goldstraw… Oh ! c’est une aventure romanesque.

Il raconta l’histoire de la dame voilée qui lui avait parlé à l’Hospice, pendant le dîner des Enfants, et tout ce qui avait suivi cette rencontre. Il fit ce récit de ce ton communicatif, avec cet air de simplicité qu’il employait en toutes choses.

— Ma pauvre chère mère, — continua-t-il, — n’aurait jamais pu me reconnaître, si elle n’avait su émouvoir par sa douleur une femme de la maison qui eut pitié d’elle. Cette femme lui promit de toucher du doigt le petit Walter Wilding, en faisant sa ronde dans la salle… Ce fut ainsi que je retrouvai ma pauvre chère mère, après avoir été séparé d’elle depuis que j’étais au monde. Et, je vous l’ai dit, j’avais alors plus de onze ans.

Madame Goldstraw écoutait avec attention. Sa main, qu’elle avait posée sur la table, retomba inerte et froide sur ses genoux. Elle regarda fixement son nouveau maître, et son visage se couvrit d’une pâleur mortelle.

— Qu’ayez-vous, — s’écria Wilding, — qu’est-ce que cette émotion veut dire ?… De grâce, savez-vous