Page:Dickens - L’Abîme, 1918.djvu/87

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comble à sa passion et le poussa tout d’un coup jusqu’au délire. Cependant il ne put, quoiqu’il fît, obtenir un mot en particulier de la charmante Marguerite.

Plusieurs fois, dans le courant de la soirée, il crut trouver l’occasion de lui parler à l’oreille. Aussitôt, Obenreizer, avec son nuage, se trouvait là lui pressant les coudes ; ou bien c’était le large dos de Madame Dor qui s’interceptait brusquement entre lui et la lumière vivante, c’est-à-dire Marguerite. Pas une fois, pas une seule fois si ce n’est pendant le repas, on ne put voir de face la respectable matrone, muette comme les montagnes où elle était née et dont elle était l’image. Après le dîner, dont elle avait pris sa large part, comme on passait au salon, elle regarda la muraille.

Et pourtant, durant ces quatre ou cinq heures, délicieuses quoique tourmentées, Vendale avait pu voir Marguerite, il avait pu l’entendre, s’approcher d’elle, effleurer sa robe. Lorsqu’on avait fait le tour des vieilles caves obscures, il la conduisait par la main ; lorsque le soir elle chanta dans le salon, Vendale, debout auprès d’elle, tenait les gants qu’elle venait de quitter. Pour les garder, ces gants mignons, que n’eût-il point fait ? Il aurait donné en échange jusqu’à la dernière goutte du vieux Porto de quarante-cinq ans, ce vin eût-il eu quarante-cinq fois les neuf lustres, eût-il coûté quarante-cinq fois quarante-cinq livres la bouteille !

Lorsqu’elle fut partie et que la solitude et l’ennui retombèrent comme un éteignoir immense sur le