Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/113

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traver, tandis que les autres, affichant une incrédulité complète, le considèrent comme un abus flagrant.

Les Mollusques aident depuis longtemps à administrer le ministère des Circonlocutions, La branche Tenace Mollusque croit même avoir des droits acquis à tous les emplois de ce ministère, et elle se fâche tout rouge si quelque autre lignée fait mine de vouloir s’y installer. C’est une famille très distinguée que celle des Mollusques, et une famille très prolifique. Ses membres sont dispersés dans tous les bureaux publics et remplissent toutes sortes d’emplois officiels. Ou bien le pays est écrasé sous le poids des services rendus par les Mollusques, ou bien les Mollusques sont écrasés sous les bienfaits du pays ; on n’est pas tout à fait d’accord sur ce point. Les Mollusques ont leur opinion, le pays a la sienne.

M. Tenace Mollusque, qui, à l’époque en question, était chargé de préparer et de bourrer de renseignements l’homme d’État qui se trouvait alors à la tête du ministère des Circonlocutions (lorsque ce noble personnage ne se tenait pas très solidement en selle, par suite des coups de lance de quelque gredin de journaliste), avait plus de sang illustre dans les veines qu’il n’avait d’argent dans les poches. En sa qualité de Mollusque, il avait une place qui était une assez jolie petite sinécure ; et, toujours en sa qualité de Mollusque, il avait placé son fils Mollusque jeune dans son bureau. Malheureusement il avait épousé une miss des Échasses, aussi riche que lui sous le rapport du sang, mais aussi pauvre en fait de meubles ou d’immeubles, et de cette union étaient nés un fils et trois filles. Aussi, grâce aux besoins patriciens de Mollusque jeune, des trois demoiselles de Mme Mollusque, née des Échasses, et grâce à ses dépenses personnelles, M. Tenace Mollusque trouvait fort longs les intervalles qui s’écoulaient entre chaque payement trimestriel de son salaire ; circonstance qu’il ne manquait jamais d’attribuer à la lésinerie du pays.

Pour la cinquième fois, M. Arthur Clennam se présenta un matin au ministère des Circonlocutions et demanda à voir M. Tenace Mollusque. Les autres jours, il avait successivement attendu ce personnage dans une antichambre, dans une galerie vitrée, dans un salon d’attente et dans un passage à l’épreuve du feu, où l’administration semblait renfermer sa provision de courants d’air. Cette fois on ne répéta pas au solliciteur que M. Mollusque se trouvait en conférence avec le noble prodige qui dirigeait le ministère. On se contenta de lui dire qu’il était absent. On voulut bien, néanmoins, lui annoncer que Mollusque jeune, le satellite secondaire de cet astre imposant, était visible à l’horizon.

M. Clennam déclara qu’il désirait voir Mollusque jeune, et il le trouva en train de se roussir les mollets devant le foyer paternel, le dos appuyé contre la tablette de la cheminée. C’était une salle confortable, élégamment meublée à la mode de la haute bureaucratie : l’épais tapis, le bureau revêtu de cuir où l’on écrivait assis, le bureau revêtu de cuir où l’on écrivait debout, le formidable fau-