Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/127

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plus maltraité qu’une centaine d’autres individus qui se sont mis dans la même position que moi, pas plus maltraité que tous les autres, pour mieux dire.

— Je ne crois pas que cette pensée me consolât beaucoup, si j’étais à votre place ; mais je suis bien aise de voir qu’elle rende vos regrets moins amers.

— Comprenez-moi bien ! Je ne veux pas dire, répliqua l’autre avec son air calme et réfléchi, et regardant au loin comme s’il mesurait la distance, que ce soit une bonne manière de récompenser les travaux et les espérances d’un homme, mais c’est une sorte de soulagement de savoir que je devais m’y attendre. »

Il parlait avec cet air tranquille et résolu, ce ton modéré qu’on remarque souvent chez un mécanicien habitué à étudier et à ajuster ses pièces avec une grande précision. Ces manières lui étaient aussi naturelles que la souplesse de son pouce ou sa façon de rejeter la tête en arrière en renversant son chapeau, comme s’il réfléchissait sur la dernière main à donner à quelque travail à moitié fini.

« Désappointé ? poursuivit-il, marchant sous les arbres entre ses deux compagnons. Oui, sans doute, je suis désappointé. Froissé ? Oui, sans doute, je suis froissé. Rien de plus naturel. Mais ce que je voulais dire en rappelant que tous ceux qui se mettent dans la même position que moi sont presque toujours traités comme je l’ai été…

— En Angleterre, interrompit M. Meagles.

— Oh ! cela va sans dire, en Angleterre. Lorsqu’un inventeur se décide à vendre sa découverte à l’étranger, les choses se passent bien différemment, et voilà pourquoi tant de découvertes sont perdues pour nous. »

M. Meagles redevint très rouge.

« Ce que je voulais dire, c’est que, d’une façon ou d’une autre, notre gouvernement est tombé dans cette voie. Pouvez-vous citer un inventeur quelconque qui n’ait été repoussé, découragé, maltraité ?

— Je ne saurais dire que j’en connaisse un seul,

— Avez-vous jamais vu l’État prendre l’initiative dans l’adoption de quelque chose d’utile ?

— J’ai pas mal d’années de plus que mon ami que voilà, c’est donc moi qui répondrai à cette question. Jamais.

— Mais chacun de nous, je crois, continua l’inventeur, pourrait citer un grand nombre de cas où notre gouvernement a prouvé qu’il était fermement résolu à rester bien loin et bien longtemps en arrière de nous tous ; où il a persisté, au vu et au su de tout le monde, à employer des vieilleries reléguées depuis longues années au rancart, et cela lorsque les nouveaux procédés, reconnus meilleurs, étaient bien connus et généralement adoptés ? »

Tout le monde fut d’accord sur ce point.

« Eh bien donc, poursuivit Doyce avec un soupir, de même que