Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/161

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est bien égal, tous les points de la boussole vous conviennent également. Ce que vous recherchez avant tout, c’est un bon placement et des rentrées sûres. Quant à la position géographique, vous n’y tenez pas, bien sûr. »

Un quatrième convive, personnage très original, avait aussi fait son apparition sous la tente du patriarche, un peu avant l’heure du dîner. C’était une étrange petite vieille, avec une physionomie semblable à celle d’une poupée de bois à laquelle on n’a pas le droit de demander qu’elle ait de l’expression dans les traits, vu le bon marché. Elle portait une perruque aussi roide que jaune, perchée de travers sur le sommet de son crâne, comme si l’enfant à laquelle appartenait la poupée lui avait planté un clou dans la tête, n’importe où, de façon à faire tenir tant bien que mal cette coiffure postiche. Un autre fait remarquable chez la petite vieille, c’est que son visage semblait avoir été endommagé en deux ou trois endroits par sa maîtresse, au moyen d’un instrument obtus, tel par exemple que la surface convexe d’une cuiller, sa physionomie, et surtout le bout de son nez, présentant le phénomène de plusieurs cavités que l’on pouvait attribuer à la pression de cette pièce de ménage. Un autre fait non moins remarquable, c’est que la petite vieille n’avait pas d’autre nom que celui de tante de M. Finching.

Voici dans quelles circonstances M. Clennam put l’observer d’abord : Flora avait remarqué, pendant que l’on servait le potage, que M. Clennam ignorait peut-être que M. Finching avait fait un legs en faveur de sa veuve. M. Clennam avait donné à entendre qu’il espérait que M. Finching avait laissé à celle qu’il adorait la plus grande partie, sinon la totalité des ses biens meubles ou immeubles. Flora avait répliqué :

« Oh ! oui, mais ce n’est pas là ce que je voulais dire. M. Finching a fait un testament admirable ; seulement il m’a légué autre chose que ses biens, c’est-à-dire sa tante. »

Et, sur ce, Flora était sortie pour aller chercher son legs et, à son retour, elle avait présenté à M. Clennam, d’un air quasi victorieux la tante de M. Finching.

Les principales qualités qu’un étranger découvrait chez la tante de M. Finching étaient une roideur d’une sévérité excessive et une sombre taciturnité, interrompue de temps à autre par des observations faites d’un ton caverneux et menaçant, lesquelles, n’ayant aucun rapport à ce que l’on venait de dire et n’étant enchaînées que par une association d’idées des plus mystérieuses, troublaient l’esprit de l’auditeur effrayé. Peut-être les remarques de la tante de M. Finching se rattachaient-elles à quelque système de l’invention de cette dame, peut-être même ce système était-il très ingénieux, très profond ; seulement il fallait en avoir la clef pour le comprendre, et on ne l’avait pas.

Le dîner, proprement servi et bien apprêté, car dans la demeure du patriarche tout était calculé pour favoriser une heureuse diges-