Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/163

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sert ; alors elle fit tout à coup une autre remarque, interrompant brusquement la conversation, comme une horloge, sans consulter personne.

Flora venait de dire :

« Monsieur Clennam, voulez-vous me verser un verre de porto pour la tante de M. Finching ?

— Le monument qui s’élève auprès de London-Bridge, proclama immédiatement cette dame, a été construit après le grand incendie de Londres, et le grand incendie de Londres n’est pas l’incendie dans lequel les magasins de votre oncle Georges ont été brûlés. »

M. Pancks repartit, toujours avec le même courage :

« Oui vraiment, madame ? Oui, oui, vous avez bien raison ! »

Mais la tante de M. Finching, au lieu de retomber dans son silence habituel, parut indignée à part elle de quelque contradiction imaginaire, et fit cette seconde proclamation :

« Je déteste un imbécile ! »

Elle donna à cette opinion, d’une sagesse presque salomonesque en elle-même, un caractère si offensant et si personnel, en la lançant à la tête du visiteur, qu’il devint nécessaire de la faire sortir de la table. Flora l’emmena très tranquillement, car la tante de M. Finching s’éloigna sans opposer aucune résistance, se contentant de demander avec une animosité implacable :

« Aussi, pourquoi vient-il ici ? »

Lorsque Flora revint, elle expliqua que son legs était une vieille dame très intelligente, mais qu’elle était parfois un peu excentrique et qu’elle avait des antipathies, particularités dont Flora semblait un peu fière. Comme la bonté naturelle de Flora avait trouvé là une occasion de briller, Clennam n’en voulut pas à la vieille dame d’avoir fait ressortir cette qualité, maintenant qu’il était débarrassé de la terreur que lui avait causée sa présence ; et ils burent un ou deux verres de vin en paix. Prévoyant que Pancks ne tarderait pas à lever l’ancre et que le patriarche allait s’endormir, Arthur prétexta une visite à faire à sa mère et demanda à Pancks de quel côté il allait.

« Du côté de la Cité, monsieur, répondit Pancks.

— Voulez-vous que nous fassions route ensemble ? demanda Arthur.

— Volontiers, » répliqua Pancks.

Cependant Flora murmurait en phrases mystérieuses à l’oreille de Clennam qu’il y avait eu un temps… mais le passé était un abîme infranchissable… et qu’une chaîne dorée ne retenait plus Arthur, et qu’elle vénérait la mémoire de feu M. Finching, et qu’elle serait à la maison le lendemain à une heure et demie, et que les décrets de la Providence étaient irrévocables, et qu’elle ne supposait pas du tout qu’Arthur se promenât jamais au côté nord-ouest des jardins de Grays’-Inn, à quatre heures précises de l’après-midi. En partant, il essaya de donner une franche poignée de main à la Flora d’à présent, non pas à la Flora évanouie, bien moins en-