Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/172

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La petite Dorrit le remercia précipitamment. Elle n’avait pas froid aux pieds, pas froid du tout ! Ce fut avec un serrement de cœur que Clennam devina qu’elle voulait lui cacher la vue de ses pauvres petits souliers tout usés.

La petite Dorrit ne rougissait pas de ses pauvres souliers. Il savait son histoire, et ce n’était pas de cela qu’elle avait honte. Mais elle avait un pressentiment que Clennam en voudrait à son père s’il les voyait ; qu’il pourrait se dire : « Comment a-t-il eu le cœur de dîner aujourd’hui et de laisser cette petite à la merci des pavés glacés ! » non pas que, selon elle, ce fût une réflexion juste et raisonnable, mais elle savait par expérience qu’il y avait quelquefois des gens assez peu raisonnables pour se permettre des remarques de ce genre. C’était un des malheurs de son père d’encourir ces injustes reproches.

« Avant d’aller plus loin, commença la petite Dorrit, assise devant le feu, encore pâle, et levant les yeux vers le visage qui, dans son expression harmonieuse d’intérêt, de pitié et de protection, était pour elle un mystère bien au-dessus de sa condition et de son intelligence, puis-je vous dire quelque chose, monsieur ?

— Oui, mon enfant. »

Un léger nuage assombrit les traits de la petite Dorrit, comme si elle eût été peinée qu’Arthur l’appelât si souvent une enfant. Mais elle s’étonna plus vite encore qu’il s’en fût aperçu, et qu’il s’occupât de si peu de chose ; car il ajouta de suite :

« J’avais besoin d’un mot qui exprimât la tendresse, et je n’en ai pas trouvé d’autre. Comme tout à l’heure, vous vous êtes donné vous-même le nom qu’on vous donne chez ma mère, celui que je vous donne toujours lorsque je pense à vous, laissez-moi vous appeler petite Dorrit.

— Merci, monsieur, c’est le nom que je préférerais à tous les autres.

— Petite Dorrit !

— Petite mère, reprit, par manière de correction, Maggy qui avait commencé à s’endormir.

— C’est la même chose, Maggy.

— Tout à fait, mère ?

— Tout à fait, Maggy. »

Maggy se mit à rire, et elle n’avait pas fini qu’elle ronflait déjà. Aux yeux de la petite Dorrit, on ne pouvait rien voir de plus amusant que ce gros poupard avec son gros rire. La petite mère était fière de son monstrueux enfant, et son visage était rayonnant lorsqu’elle le ramena vers le grave gentleman au teint bronzé. Elle se demandait à quoi il pensait en la regardant, elle et Maggy. « Quel bon père cela ferait ! se disait-elle. Avec une figure comme cela, comme il serait doux pour sa fille de recevoir ses conseils et ses caresses !

— Ce que j’allais vous dire, monsieur, dit la petite Dorrit, c’est que mon frère est libre. »