Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/175

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l’air grave et au teint bronzé qui venait de si loin et qui lui avait parlé en ami et en protecteur.

« Il y avait trois choses, dit la petite Dorrit, qu’il me semblait que je voulais vous dire, si vous étiez seul et que je pusse monter pour vous voir. D’abord ce que j’ai essayé de vous exprimer, mais je ne dois jamais… que je ne pourrai jamais…

— Chut, chut, c’est une affaire terminée. Passons à la seconde, répondit Clennam, dissipant par son sourire l’agitation de la jeune fille, faisant briller sur elle la flamme du foyer, et posant sur la table du vin, des gâteaux et des fruits.

— Je crois, poursuivit la petite Dorrit, que voici la seconde chose, monsieur ; je suppose que Mme Clennam aura découvert mon secret et qu’elle sait d’où je viens et où je vais ; où je demeure, en un mot.

— En vérité ! » répliqua Clennam avec vivacité. Et après un moment de réflexion il lui demanda ce qui lui faisait penser cela.

« Je crois, répondit la petite Dorrit, qu’il faut que M. Flintwinch m’ait suivie.

— Et pourquoi ? demanda Clennam, qui tourna les yeux vers le feu, fronça les sourcils et réfléchit encore ; pourquoi le croyez-vous ?

— Je l’ai rencontré deux fois ; toujours près de la maison, toujours le soir, lorsque je rentrais. Et chaque fois j’ai cru, à moins que je ne me sois trompée, qu’il n’avait pas l’air de m’y rencontrer par hasard.

— Vous a-t-il parlé ?

— Non, il m’a fait un petit salut et a penché la tête de côté.

— Le diable emporte sa tête ! dit Clennam d’un ton rêveur, et les yeux toujours fixés sur le feu ; elle est toujours penchée d’un côté. »

Il secoua sa rêverie pour persuader à la petite Dorrit de prendre un peu de vin et de manger quelque chose ; il eut beaucoup de peine, elle était si timide ! puis il reprit, toujours d’un ton rêveur :

« Est-ce que ma mère n’est plus la même avec vous ?

— Oh ! je vous demande pardon : elle est toujours la même. Cependant je me demandais si je ne ferais pas bien de lui raconter mon histoire. Je me demandais si je pouvais… je veux dire si vous désiriez que je lui en fisse confidence. Je me demandais, dit la petite Dorrit, le regardant d’un air suppliant et baissant peu à peu les yeux tandis qu’il levait les siens, si vous ne voudriez pas me donner un conseil sur ce que je dois faire.

— Petite Dorrit, répondit Clennam ; et ces deux mots avaient déjà commencé à remplacer pour eux deux une foule de tendres expressions, selon leur intonation ou la place qu’ils occupaient dans la conversation, ne faites rien. Je veux causer un peu avec ma vieille amie, Mme Affery Flintwinch. Ne faites rien, petite Dorrit, si ce n’est de vous rafraîchir avec ce petit souper. Voilà tout ce que je vous conseille, ce que je vous prie de faire.

— Merci, je n’ai pas faim, ni soif, ajouta la petite Dorrit, tandis