Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/194

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bout. Tout inventeur tient aussi sa découverte aux mêmes conditions.

— C’est-à-dire, reprit Arthur, avec une admiration croissante pour son paisible compagnon que, même aujourd’hui, vous n’êtes pas irrévocablement découragé ?

— Si je le suis, j’ai tort, répliqua l’autre. Ma découverte est aussi vraie aujourd’hui qu’hier. »

Ils marchèrent quelque temps en silence. Clennam, voulant changer le cours de la conversation sans trop en avoir l’air, demanda à M. Doyce s’il avait un associé qui le débarrassât au moins en partie du souci des affaires ?

« Non, répondit-il, pas maintenant. J’en ai eu un en commençant, et c’était un brave homme. Mais il est mort depuis quelques années, et comme je ne pouvais pas aisément me résoudre à en prendre un autre après l’avoir perdu, j’ai racheté sa part et, depuis, j’ai continué tout seul. Et c’est encore là un de nos défauts, continua-t-il en s’arrêtant un instant, avec un rire plein de bonne humeur dans le regard, et lui prenant le bras avec sa main droite, cette main dont le pouce était doué d’une souplesse si particulière, c’est que nous autres, inventeurs, nous ne valons rien pour les affaires, vous savez ?

— Non.

— Du moins à ce que disent les hommes d’affaires, répondit Doyce se remettant en marche et riant tout haut. Je ne sais pas trop pourquoi nous autres, pauvres diables d’inventeurs, nous passons pour manquer de bon sens, mais toujours est-il qu’on nous le refuse ; jusqu’à notre excellent ami M. Meagles, le meilleur ami que j’aie au monde, poursuivit-il en faisant un signe de tête du côté de Twickenham, qui étend sur moi une sorte de protection, vous en avez été témoin, comme si je n’étais pas tout à fait capable de marcher seul ! »

Arthur Clennam ne put s’empêcher de prendre part au rire de son compagnon, car il reconnaissait la vérité de cette remarque.

« De sorte que je vois qu’il me faut pour associé un homme d’affaires qui ne se soit rendu coupable d’aucune découverte, reprit Daniel Doyce, ôtant son chapeau pour passer la main sur son front, quand ce ne serait que pour soutenir la réputation de mes ateliers. Il ne trouvera pas, je crois, mes livres tenus avec négligence ou confusion ; mais nous verrons ce qu’il en dira : ce n’est pas à moi à me vanter de ça.

— Vous ne l’avez donc pas encore choisi ?

— Non, monsieur, non. Je viens seulement de me décider à en prendre un. Le fait est qu’il y a plus de besogne qu’il n’y en avait, et la surveillance des travaux suffit pour me donner assez d’occupation, maintenant que je prends de l’âge. En outre, il y a la comptabilité et la correspondance, et puis les voyages à l’étranger où la présence d’un chef est souvent nécessaire, et je ne puis pas tout faire. Si je peux trouver une demi-heure d’ici à lundi matin, je