Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/203

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connaître la somme dont je puis disposer. Je parle, cela va sans dire, dans une complète ignorance des détails, et il se peut que nous ne nous convenions ni d’un côté ni de l’autre.

— Sans doute, sans doute, répondit M. Meagles avec une prudence qui rappelait les balances et la petite pelle.

— Mais ce sera là une question de chiffres et de comptes…

— Parfaitement, parfaitement, dit M. Meagles avec une solidité arithmétique qui rappelait encore les balances et la petite pelle.

— Et je serais heureux d’entamer les négociations, pourvu que M. Doyce y consente et que vous n’y trouviez rien à redire. Si donc, pour le moment, vous voulez bien me permettre de placer l’affaire entre vos mains, vous m’obligerez beaucoup.

— Clennam, j’accepte très volontiers cette mission, dit M. Meagles, et sans méconnaître d’avance les difficultés qu’en votre qualité d’homme habitué aux affaires vous avez pu prévoir, je me crois autorisé à dire qu’il me semble que votre proposition a des chances. Dans tous les cas, soyez bien persuadé d’une chose, c’est que Daniel Doyce est un parfait honnête homme.

— C’est parce que j’en suis sûr que je me suis promptement décidé à vous parler.

— Il faudra le guider, vous savez ; Il faudra le piloter ; il faudra le diriger ; c’est un homme à lubies, dit M. Meagles, qui évidemment voulait seulement donner à entendre que Daniel faisait des choses que personne n’avait faites avant lui et marchait dans une voie nouvelle, mais il est franc comme l’or. Sur ce, bonsoir ! »

Clennam remonta à sa chambre, s’assit de nouveau devant le feu, et se déclara à lui-même qu’il était content de s’être décidé à ne pas devenir amoureux de Chérie. Elle était si belle, si aimable, si propre à recevoir toutes les impressions honnêtes qu’on donnerait à sa douce nature et à son cœur innocent, si bien faite pour rendre heureux l’homme qui lui communiquerait ces impressions, à faire de lui le plus fortuné et le plus envié des mortels, qu’Arthur fut vraiment ravi de la résolution qu’il avait prise.

Mais comme c’était peut-être aussi une raison pour revenir à une détermination contraire, il y songea encore un peu, pour l’acquit de sa conscience, sans doute.

« Supposons qu’un homme, pensa-t-il, qui aurait atteint sa majorité il y a une vingtaine d’années environ ; qui serait un peu timide, par suite de la manière dont il a été élevé ; un peu grave par suite des circonstances de sa vie ; qui saurait qu’on peut lui reprocher de manquer d’une foule de charmantes petites qualités qu’il admire chez les autres, par suite de son long séjour dans une région éloignée où il n’y avait rien qui pût adoucir ses manières ; qui n’aurait pas eu l’avantage de se faire connaître à elle par les éloges complaisants de ses sœurs, n’ayant pas de sœurs ; qui ne pourrait offrir à sa femme une demeure comme celle qu’elle quitterait pour lui ; qui serait comme un étranger dans son pays natal ; qui n’aurait pas du tout dans sa fortune de quoi compenser ces défauts, qui