Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/218

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francs de menue monnaie d’argent avaient été oubliés par hasard sur la table, et deux chaises, disposées d’avance, tendaient les bras aux visiteurs. Tout était arrangé pour le grand lever du doyen.

« Ah, petit John ! Comment allez-vous, comment allez-vous ?

— Assez bien, merci, monsieur. J’espère que vous pouvez en dire autant.

— Oui, John Chivery ; oui. Je n’ai pas trop à me plaindre de ce côté-là.

— J’ai pris la liberté, monsieur, de…

— Hein ? »

Le doyen levait toujours les sourcils à cet endroit du discours prenait un air de distraction aimable, et un sourire rêveur.

« … Quelques cigares, monsieur.

— Oh (moment de surprise extrême) ! merci, jeune John, merci. Mais vraiment je crains d’être trop… Non ?… Dans ce cas n’en parlons plus. Posez-les sur la cheminée, s’il vous plaît, John. Et asseyez-vous, asseyez-vous. Vous n’êtes pas un étranger ici, John.

— Merci, monsieur, vous êtes bien bon. Mlle… (ici John fit tourner son chapeau monumental sur sa main gauche, comme une cage d’écureuil qui roule lentement sur son axe) Mlle Amy se porte bien ?

— Oui, John, oui ; elle se porte très bien. Elle est sortie.

— Vraiment, monsieur ?

— Oui, John. Mlle Amy est allée prendre l’air. Mes jeunes gens sortent tous très fréquemment. Mais, à leur âge, c’est bien naturel, John.

— Rien de plus naturel, monsieur Dorrit.

— Oui, elle est allée prendre l’air, John, prendre l’air. Il tambourinait doucement sur la table d’un air paterne et dirigeait les yeux vers la croisée. Elle prend l’air sur le Pont suspendu. Elle affectionne particulièrement le Pont suspendu depuis quelque temps et semble préférer cette promenade-là à toute autre. Il changea la conversation. Votre père n’est pas de garde en ce moment, je crois, John ?

— Non, monsieur, son tour ne vient que plus tard dans l’après-midi. » Le chapeau recommença à tourner. « Je crois qu’il faut que je vous dise bonjour, monsieur ? — Déjà ? Bonjour, jeune John ; allons, allons (avec une affabilité excessive), ce n’est pas la peine d’ôter votre gant, John, gardez-le pour me donner une poignée de main. Vous n’êtes point un étranger ici, vous savez. »

Ravi de la cordialité de cette réception, John descendit l’escalier. Il rencontra en route plusieurs détenus accompagnés de visiteurs qui désiraient se faire présenter ; M. Dorrit se penchant par hasard par-dessus la rampe, choisit ce moment pour lui dire avec une intonation de voix très distincte :

« Je vous suis fort obligé de votre petit témoignage, John. »