Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/225

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dois faire. À certaines heures précises de la journée, tu me trouveras à la promenade, ou dans ma chambre, ou dans la loge, lisant mon journal, recevant mon monde, mangeant et buvant. Il y a déjà bien des années que j’ai dressé Amy à cette exactitude : je lui ai appris (par exemple) la nécessité que mes repas soient servis à heure fixe. À mesure qu’elle a grandi, elle a compris l’importance de ces arrangements et tu sais quelle bonne fille cela fait ! »

Le frère se contenta de soupirer de nouveau, tandis qu’il rêvait en marchant de son pas traînard : « Ah ! oui, oui, oui.

— Mon cher ami, dit le Père de la Maréchaussée, posant la main sur l’épaule de Frédéric et le raillant avec douceur (avec douceur ; il était si faible le pauvre cher homme !), tu m’as déjà dit cela, et je ne sais pas si tes paroles, Frédéric, ont un sens caché qui m’échappe, mais elles n’ont pas l’air de signifier grand’chose. Je voudrais pouvoir te réveiller un peu, mon bon Frédéric ; tu as besoin d’être réveillé.

— Oui, William, oui. Sans doute, répondit l’autre, levant ses yeux ternes vers le visage de son frère, mais je ne suis pas comme toi. »

Le Père de la Maréchaussée remarqua, en haussant les épaules avec modestie : « Oh ! tu pourrais me ressembler, mon cher Frédéric ; tu pourrais me ressembler si tu voulais ! » et il s’abstint, dans sa magnanimité, de presser davantage son frère déchu.

On se disait bien des adieux dans les coins, ainsi que cela se faisait habituellement le dimanche. Çà et là, dans l’obscurité, quelque pauvre femme, épouse ou mère, pleurait avec un détenu novice. Le temps avait été où le doyen lui-même avait pleuré, dans les ombres de cette cour, auprès de sa pauvre femme qui pleurait aussi. Mais il s’était passé bien des années depuis cette époque, et maintenant le vieillard ressemblait à un passager parti pour un voyage au long cours qui, lorsqu’il ne ressent plus le mal de mer, s’impatiente de cette faiblesse chez les passagers moins aguerris que l’on a embarqués au dernier port. Il s’en fallait de peu qu’il ne leur fît des remontrances et qu’il ne leur mît le marché à la main en leur disant que les gens qui ne pouvaient vivre sans pleurer n’avaient que faire dans sa prison. Ses gestes, sinon ses paroles, témoignaient toujours le mécontentement que lui causaient de pareilles interruptions apportées à l’harmonie générale ; et la chose était si connue que les coupables s’empressaient ordinairement de disparaître sitôt qu’ils voyaient approcher le doyen.

Le dimanche soir en question, William Dorrit reconduisit son frère jusqu’à la grille avec un air plein de charité et de clémence ; il était de bonne humeur et gracieusement disposé à pardonner les larmes. Plusieurs détenus se pavanaient sous la lueur éclatante du gaz de la loge ; les uns disaient adieu aux visiteurs, et d’autres, qui n’avaient pas de visiteurs, regardaient la clef tourner fréquemment dans la serrure et causaient entre eux avec M. Chivery. L’en-