Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/245

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— Oh ! je ne sais que te dire ! répondit la petite Dorrit tout attristée. Tu n’aimais pas ce jeune homme, Fanny ?

— L’aimer ? il est presque idiot.

— Je suis si fâchée… je ne veux pas te froisser… mais puisque tu me demandes ce que j’ai à te dire, je suis très fâchée, Fanny, que tu aies souffert que cette dame te donnât quelque chose.

— Petite sotte ! répliqua sa sœur qui la tira par le bras en la secouant rudement. Tu n’as donc pas de sang dans les veines ? Mais c’est toujours comme cela ! Tu ne sais pas te respecter, tu n’as pas de noble orgueil ! De même que tu te laisses suivre par ce méprisable petit nabot de Chivery (avec une intonation des plus dédaigneuses), tu voudrais que ta famille se laissât fouler aux pieds sans se redresser !

— Ne dis pas cela, chère Fanny. Je fais ce que je puis pour elle.

— Tu fais ce que tu peux pour elle ! répéta Fanny, l’obligeant à marcher très vite. Tu voudrais donc laisser une femme comme celle-là, que tu reconnaîtrais pour la plus fausse et la plus insolente des femmes, si tu avais la moindre expérience… tu voudrais lui laisser mettre le pied sur la gorge de ta famille sans lui dire autre chose que : Merci, madame ?

— Non, Fanny, non certainement.

— Alors fais-lui payer son insolence, enfant sans dignité que tu es ! Quelle autre manière as-tu de te venger ? Fais-lui payer son insolence, petite bécasse, et dépense son argent pour le plus grand honneur de ta famille ! »

Elles ne se parlèrent plus et continuèrent leur chemin jusqu’à la maison habitée par Fanny et son oncle. En y arrivant elles trouvèrent le vieillard qui étudiait sa clarinette le plus tristement du monde dans un coin de la chambre. Fanny avait à préparer un repas composite avec des côtelettes, du porter et du thé ; et elle fit semblant de l’apprêter, avec des airs indignés, tandis que c’était sa bonne petite sœur qui faisait réellement toute la besogne. Lorsque enfin Fanny se fut assise pour manger et boire, elle jeta les objets sur la table et se fâcha avec son pain à peu près comme le Doyen avait fait la veille.

« Si tu me méprises, dit-elle, en versant des larmes impétueuses ; parce que je suis une danseuse, pourquoi m’as-tu fait faire le premier pas ? car c’est ton ouvrage. Tu aurais bien voulu me voir mettre à plat ventre devant cette Mme Merdle et lui laisser dire et faire tout ce qu’elle veut, et nous mépriser tous et me le jeter à la face… Parce que je suis une danseuse !

— Oh ! Fanny !

— Et Tip aussi, pauvre garçon ! Elle peut le ravaler autant que ça lui plaît sans que personne lui dise un mot… sans doute parce qu’il a été employé chez des hommes de loi et dans les docks et ailleurs. Et pourtant tout ça, c’est ton ouvrage, Amy. Tu devrais bien au moins me savoir gré d’avoir pris sa défense. »