Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/298

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regardait comme une bonne chose pour la santé de son fils. 2o M. Pancks avait consenti à allouer à Mme Chivery la somme légale de neuf francs trente-cinq centimes pour chaque absence de son fils. Cette dernière proposition avait été faite par Pancks lui-même, dans ces termes laconiques :

« Si votre fils a la faiblesse, madame, de ne pas accepter cette somme, je ne vois pas pourquoi vous ne l’accepteriez pour lui. Ainsi donc, entre nous, comme une affaire est toujours une affaire, voici l’argent. »

Quant à M. Chivery, ce n’est jamais de lui qu’on aurait appris ce qu’il pensait de tout cela, ni ce qu’il en savait. J’ai déjà dit que c’était un homme de peu de mots, et j’ajouterai ici que, grâce à sa profession, il avait contracté l’habitude de tout renfermer sous clef. Il se renfermait lui-même avec tout autant de soin qu’il renfermait les détenus de la Maréchaussée. Il tenait ses lèvres fermées comme il tenait fermée la porte de la prison. Il ne les ouvrait jamais sans motif. Quand il devenait nécessaire de laisser sortir quelque chose, il entr’ouvrait la porte, la laissait ouverte aussi peu de temps que possible et se dépêchait de la refermer. De même que pour s’épargner la peine d’ouvrir la porte de la prison, il faisait attendre un visiteur qui voulait sortir lorsqu’il en voyait approcher un autre, de façon à les mettre tous les deux dehors d’un seul tour de clef ; de même il faisait souvent attendre une remarque, présente à son esprit, s’il pressentait qu’il allait en arriver une autre, afin de les expédier toutes les deux à la fois. Quant à chercher dans l’expression de sa physionomie une clef qui pût servir à deviner sa pensée, la clef de la prison eût fourni un indice tout aussi lisible du caractère individuel et de l’histoire de chacun des détenus qu’elle renfermait.

Que M. Pancks fût tenté d’inviter quelqu’un à dîner à Pentonville, c’était là un fait sans précédent dans son calendrier. Mais néanmoins il invita le jeune John à dîner et l’exposa même à se laisser fasciner par les charmes dangereux (à cause des dommages-intérêts) de Mlle Rugg. Le banquet eut lieu un dimanche et Mlle Rugg apprêta de ses propres mains un gigot farci d’huîtres qu’elle envoya cuire au four chez le boulanger… non pas chez le boulanger réfractaire, mais chez le propriétaire d’un établissement qui faisait concurrence à l’infidèle. On fit aussi provision d’oranges, de pommes et de noix. M. Pancks rapporta le samedi soir une bouteille de rhum destinée à réjouir le cœur de son hôte.

Mais les préparatifs pour la réception du visiteur ne se bornèrent pas à des apprêts matériels. On le reçut avec des marques de condoléance et de sympathie familière. Lorsque le jeune John fit son apparition à une heure et demie, sans la canne à bec d’ivoire, sans le gilet à bouquets d’or, comme un soleil que les nuages désastreux ont dépouillé de ses rayons, M. Pancks le présenta à M. Rugg en lui disant que c’était ce jeune homme dont il lui avait si souvent parlé et qui aimait Mlle Dorrit.