Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/339

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à prêter sans cesse l’oreille à des bruits qu’elle entendait quelquefois, sans vouloir sortir de son état de rêve et de somnambulisme, pour pénétrer le secret de la pensée de Mme Clennam.

On faisait assez d’affaires, à ce que Mme Jérémie pouvait croire, car son mari ne manquait pas de besogne dans son petit cabinet, et il recevait plus de monde qu’il n’en était venu là depuis bien des années. Mais il n’y avait rien d’étonnant à cela, la maison étant restée presque déserte depuis longtemps. Cependant M. Flintwinch recommençait à écrire des lettres, à voir assez de monde et à tenir des comptes. En outre, il visitait d’autres maisons de commerce, et les entrepôts, et les docks, et la douane, et le café Garraway, et le café de Jérusalem, et la Bourse, de sorte qu’il sortait et rentrait constamment. Il se mit aussi, les soirs où Mme Clennam n’exprimait pas le désir de jouir de la compagnie de son aimable associé, à fréquenter une taverne du voisinage pour consulter la liste des arrivages de navires, ou le bulletin de la Bourse dans le journal du soir, et même pour échanger quelques petites politesses avec les capitaines des navires marchands qui fréquentaient cet endroit. À toute heure du jour, Mme Clennam et lui tenaient un conseil d’affaires ; et il sembla à Mme Jérémie, qui était toujours à fureter partout, écoutant et guettant, que les deux finauds faisaient beaucoup d’argent.

L’hébétement dans lequel l’épouse de M. Flintwinch était tombée avait fini par percer dans tous ses regards et tous ses gestes, au point que les deux finauds ne faisaient plus guère attention à cette dame, la regardant comme une personne qui n’avait jamais été bien intelligente, mais qui, maintenant, était en train de devenir idiote. Soit parce qu’il s’aperçut que la tournure de sa femme n’avait rien de commercial, soit parce qu’il craignit que le choix qu’il avait fait d’une pareille épouse n’inspirât pas une grande confiance à ses clients, M. Flintwinch ordonna à sa dame de garder le silence sur leurs relations conjugales et de ne l’appeler plus Jérémie que dans l’intimité de la vie domestique. L’oubli fréquent de cette recommandation contribua à donner à Mme Flintwinch un air encore plus effaré ; car M. Flintwinch ayant l’habitude de se venger de ces nombreuses désobéissances en s’élançant sur elle à l’improviste, lorsqu’il la voyait sur l’escalier, et de la secouer d’une rude façon, elle était dans des transes continuelles, s’attendant à chaque instant à voir l’ennemi lui livrer un nouvel assaut.

La petite Dorrit venait de terminer une longue journée de travail dans la chambre de Mme Clennam, et elle ramassait les bouts de fils et de chiffons avant de s’en retourner chez elle. M. Pancks, que Mme Jérémie venait d’annoncer, demandait à Mme Clennam des nouvelles de sa santé en ajoutant que, se trouvant par hasard dans le quartier, il était venu savoir, de la part de son propriétaire, comment elle se portait. Mme Clennam, les sourcils froncés, le regardait en face.

« M. Casby sait fort bien, dit-elle, que je ne suis plus en état de