Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/345

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fenêtre à guillotine. Son regard avait quelque chose de si sinistre, tandis qu’il sautait dans la chambre et se retournait pour saluer Mme Jérémie, qu’elle songea (cette pensée la fit frissonner) que, s’il s’avisait de monter tout droit au premier étage pour assassiner son impotente maîtresse, elle ne pourrait rien faire pour l’en empêcher.

Par bonheur, l’inconnu n’avait aucune intention de ce genre, car il ne tarda pas à se montrer à la porte d’entrée.

« Maintenant, chère madame, dit-il en reprenant et en remettant son manteau, si vous voulez bien me… D’où diable vient ce bruit-là ? »

Un bruit étrange, en effet, très-rapproché, à en juger par l’ébranlement qu’il donnait à l’atmosphère, et pourtant étouffé comme s’il eût été très éloigné. Un tremblement, un sourd roulement, puis la chute de quelque matière sèche et légère.

« D’où diable vient ce bruit ?

— Je ne sais pas ce que ce peut être, mais je l’ai entendu mille et mille fois, » répondit Mme Jérémie qui avait saisi l’inconnu par le bras.

L’inconnu ne devait pas être un homme courageux, pensa-t-elle au milieu de l’épouvante et des tressaillements de ce nouveau rêve, car ses lèvres tremblantes avaient pâli. Après avoir écouté un instant, il haussa les épaules.

« Bah ! ce n’est rien… Maintenant, chère madame, vous m’avez, je crois, parlé tout à l’heure d’un personnage habile pour mon affaire. Voulez-vous être assez bonne pour me mettre face à face avec ce génie ? »

Il avait la main sur la porte, comme s’il se tenait tout prêt à la lui refermer au nez si elle faisait mine de refuser l’exécution du marché.

« Vous ne direz rien de la porte que j’ai laissée se refermer sur moi ? dit Mme Jérémie.

— Pas un mot.

— Et vous ne bougerez pas d’ici (si elle appelle, ne répondez pas), le temps que je vais courir au coin de la rue.

— Madame, je ne bougerai pas plus qu’une pierre. »

Mme Jérémie avait une peur si effroyable qu’il ne se dépêchât de monter furtivement l’escalier dès qu’elle aurait le dos tourné, qu’après avoir perdu la maison de vue, elle revint sur ses pas pour voir s’il était toujours là. Comme l’inconnu se tenait toujours sur le seuil (plutôt en dehors qu’en dedans de la maison, car on eût dit qu’il n’aimait pas l’obscurité et ne se souciait guère d’en sonder les mystères), elle courut jusqu’à la rue voisine, expédia un message à M. Jérémie Flintwinch, qui sortit immédiatement de la taverne. Étant revenus au galop (la femme formant l’avant-garde, le mari la suivant de près, animé sans doute par l’espoir de la secouer d’importance avant qu’elle pût se réfugier dans la maison), les deux époux virent l’inconnu toujours debout à son poste, et