Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/366

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maintenant, vous avez beau dire. Puisse ce temps-là arriver bientôt et il n’arrivera jamais trop tôt à mon gré ! mais je ne reviendrai pas avant ; non, Thomas, pas avant. »

Mme Plornish, qui avait détourné la tête en tenant le coin de son tablier, se retourna pour prendre part à la conversation. Elle annonça à Mlle Dorrit que Père avait l’intention de passer l’eau pour présenter ses respects au Doyen, à moins que Mlle Dorrit n’y vît quelque inconvénient.

La petite Dorrit répondit :

« Je rentre moi-même, et si votre père veut bien venir avec moi je serais très-heureuse d’avoir soin de lui… très-heureuse, reprit-elle, car elle cherchait toujours à ménager l’amour-propre des malheureux, très-heureuse de l’avoir pour compagnon de route.

— Là, Père ! s’écria Mme Plornish. Vous allez vous figurer que vous êtes redevenu un jeune homme bien fringant pour servir comme ça de cavalier à Mlle Dorrit ! Laissez-moi faire un nœud galant à votre cravate ; car vous êtes un vert-galant vous-même, Père ! »

Après cette plaisanterie filiale, Mme Plornish rajusta un peu la toilette de son père, puis elle embrassa le vieillard de tout son cœur et se tint à la porte (pressant dans ses bras le plus chétif de ses deux enfants, tandis que le plus fort se roulait sur les marches) à regarder le vieux Naudy s’éloigner d’un pas chancelant au bras de la petite Dorrit.

Ils ne marchaient pas vite, on le devine. La petite Dorrit mena son compagnon par le pont suspendu où elle l’engagea à se reposer un instant, et tous deux se mirent à regarder la rivière en parlant des vaisseaux qu’on y voyait. Le vieillard confia à la jeune fille ce qu’il ferait si jamais un navire chargé de pièces d’or arrivait à son adresse. Il avait la ferme intention, dit-il, de louer pour les Plornish et pour lui-même un bel appartement donnant sur un café-jardin, où ils demeureraient jusqu’à la fin de leurs jours et se feraient servir par le garçon limonadier ; rien que d’y penser, c’était une vraie fête pour M. Naudy.

Ils ne se trouvaient plus qu’à cinq minutes de la prison lorsqu’au détour d’une rue, ils se rencontrèrent face à face avec Fanny, coiffée de son chapeau neuf et voguant vers le même port.

« Bonté du ciel, Amy ! s’écria la danseuse, faisant un bond en arrière, ce n’est pas possible !

— Quoi donc, ma chère Fanny ?

— Par exemple ! je suis prête à croire bien des choses qu’on pourrait me dire sur ton compte, poursuivit l’autre avec une vive indignation ; mais jamais, non jamais ! je ne t’aurais crue capable d’une pareille bassesse !

— Fanny ! s’écria la petite Dorrit, blessée et surprise.

— Oh ! tu as beau dire : Fanny ! petit être sans dignité que tu es !… L’idée de te montrer ainsi dans les rues, en plein jour, avec un indigent du Workhouse ! »