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Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/372

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bonheur de le connaître moi-même : je n’ai donc pas besoin de te le présenter. Fanny, ma chère, monsieur n’est pas non plus un étranger pour toi… (Fanny fit un salut hautain ; car, en pareille occasion, elle paraissait croire à une vaste conspiration qui avait pour but d’insulter tous les Dorrit en général en feignant de ne pas les comprendre et en ne leur témoignant pas le respect auquel ils avaient droit, et elle regardait Arthur comme un des complices de cette ligue). Vous voyez ici, monsieur Clennam, un vieux protégé à moi, le vieux Naudy, un vieux serviteur très-fidèle (il parlait toujours de Naudy comme d’une antiquaille, bien qu’il fût son aîné de deux ou trois années). Voyons un peu. Vous connaissez Plornish, je crois ? Il me semble que ma fille Amy m’a dit que vous connaissiez ces pauvres Plornish ?

— Oui, je les connais, répondit Arthur Clennam.

— Eh bien, monsieur, voilà le père de Mme Plornish.

— Vraiment ? Je suis très-content de le rencontrer.

— Vous seriez encore plus content, monsieur Clennam, si vous connaissiez toutes ses bonnes qualités.

— J’espère que je ne tarderai pas à les connaître, maintenant que je connais celui qui les possède, dit Arthur, qui plaignait ce vieillard courbé et soumis.

— Il a congé aujourd’hui, et il est venu faire une visite à de vieux amis qui sont toujours heureux de le voir, remarqua le Père des détenus, ajoutant tout bas : Il est au workhouse, le pauvre bonhomme. C’est son jour de sortie. »

Pendant cet entretien, Maggie, aidée par sa tranquille petite mère, avait mis le couvert, et le repas se trouva prêt. Comme il faisait chaud et que l’on étouffait dans la prison, la fenêtre était toute grande ouverte.

« Si Maggy veut bien étendre ce journal sur le rebord de la croisée, ma chère, dit le Doyen d’un air bénévole en s’adressant à mi-voix à la petite Dorrit, mon vieux protégé pourra y prendre son thé pendant que nous allons prendre le nôtre. »

De sorte qu’avant de régaler royalement le père de Mme Plornish, M. William Dorrit crut devoir établir entre le vieillard et l’honorable société un gouffre d’un pied de large, bonne mesure. Clennam n’avait jamais rien vu qui ressemblât au magnanime patronage du Doyen ; il se perdait dans la contemplation des nombreuses merveilles de ce curieux spectacle.

La plus frappante de toutes fut le plaisir que semblait éprouver l’autre à faire remarquer la décrépitude et les infirmités de son protégé. On eût dit un aimable cornac dans une ménagerie, se livrant à un rapide commentaire sur la décadence de l’animal qu’il était chargé de montrer.

« Encore un peu de jambon, Naudy ? Non ? Comment vous n’êtes pas encore prêt ! Quel temps vous mettez à manger quelques bouchées ! (Ses dernières dents s’en vont ! pauvre bonhomme. » ajouta-t-il pour l’édification des autres convives.)