Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/374

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qu’on ait la consolation de savoir que mon vieux protégé ne se doute pas de sa décrépitude. Ce pauvre bonhomme n’est plus qu’une lugubre ruine. Plus d’élasticité ! ses ressorts sont tous brisés, fracassés, pulvérisés, monsieur ! »

Comme Clennam avait ses raisons pour rester, il répondit quelque chose au hasard, et se mit à regarder par la croisée à côté du Père des détenus, tandis que Maggy et sa petite mère lavaient les tasses et débarrassaient la table. Arthur remarqua que son compagnon se tenait à la fenêtre comme aurait pu le faire un monarque affable et accessible ; il avait presque l’air de bénir ceux de ses sujets qui levaient par hasard la tête pour le saluer.

Lorsque la petite Dorrit eut posé son ouvrage sur la table, et que Maggy eut posé le sien sur le lit, Fanny attacha les brides de son chapeau comme préliminaire de départ. Arthur, ayant toujours les mêmes motifs pour ne pas s’éloigner, ne bougea pas. À ce moment la porte s’ouvrit sans que personne eût frappé, et M. Tip parut. Il embrassa Amy qui venait de se lever pour s’élancer à sa rencontre, fit un signe de tête à son père, un autre signe de tête à Fanny, et s’assit après avoir regardé le visiteur d’un air sombre, comme s’il ne le connaissait pas.

« Mon cher Tip, demanda la petite Dorrit avec sa douceur habituelle, bien qu’elle fût honteuse de la conduite de son frère, est-ce que tu ne vois pas… ?

— Si, si, je vois parfaitement bien, ma chère. Si tu fais allusion à un certain visiteur qui se trouve actuellement dans cette chambre… si c’est là ce que tu veux dire, interrompit Tip hochant la tête d’une façon très-significative du côté de Clennam, je vois !

— C’est là tout ce que tu as à dire ?

— Oui, c’est là tout ce que je dis. Et je présume, continua Tip d’un air altier et après un moment de réflexion, que le visiteur comprendra pourquoi je n’ai pas autre chose à dire. Bref, je présume que le visiteur comprendra qu’il ne m’a pas traité avec les égards que l’on doit à un gentleman.

— Je ne comprends pas cela, répondit le visiteur si mal accueilli par M. Tip.

— Non ? Alors, monsieur, je vais tâcher de m’expliquer un peu plus clairement. Vous me permettrez donc de vous dire que, lorsque j’adresse à un individu une requête rédigée en termes convenables, une requête urgente, une requête délicate à l’effet d’obtenir le prêt d’une légère somme, dont il pouvait aisément disposer, aisément, remarquez-le… et que cet individu me répond qu’il me prie de l’excuser, je prétends qu’il n’a pas agi à mon égard comme on doit agir envers un gentleman. »

Le Père des détenus qui, jusqu’alors avait contemplé son fils sans songer à l’interrompre, n’eut pas plutôt entendu cette dernière phrase qu’il intervint, s’écriant d’un ton irrité.

« Comment osez-vous ?…