Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/401

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attaché au ministère des Circonlocutions, et qui avait laissé ce jour-là le Tonnage de sa patrie, dont il était censé être le protecteur immédiat, et qui, je suis heureux de le dire, ne perdit rien à se tirer d’affaire lui-même en l’absence de son jeune protecteur. Il y avait l’aimable petit Mollusque, attaché au secrétariat du ministère des Circonlocutions, qui prenait gaiement et agréablement les choses, assistant à ce mariage comme s’il se fût agi de remplir une des formalités officielles du ressort du département chargé de tout entraver. Il y avait trois autres jeunes Mollusques attachés à trois autres ministères, insipides à tous égards, et qui auraient eu grand besoin d’être mis à la sauce piquante ; ils étaient venus là comme ils seraient allés voir le Nil, Rome, la nouvelle chanteuse ou Jérusalem.

Mais il y avait un gibier autrement imposant que ce menu fretin. Il y avait lord Decimus Tenace Mollusque en personne, en odeur de Circonlocutions, tout parfumé des senteurs de maroquin des boîtes à dépêches. Oui, lord Decimus en personne, ce grand homme qui avait atteint le faîte des hauteurs officielles sur les ailes d’une seule phrase indignée : « Mylords, il me restait encore à apprendre qu’il importe au ministre d’une nation libre de mettre des bornes à la philanthropie, de restreindre la charité, d’entraver l’ardeur publique, d’imposer des limites à l’esprit d’entreprise, de porter atteinte au courageux esprit d’initiative des membres de cette nation. En d’autres termes, cet illustre homme d’État s’étonnait d’avoir encore à apprendre qu’il importait au pilote d’un navire de faire autre chose que de veiller à la prospérité de son trafic personnel, quand il avait un équipage pour travailler à la pompe, et à empêcher le navire de couler sans qu’il s’en occupât. Grâce à cette découverte sublime, lord Decimus avait porté à son apogée la gloire de la famille Mollusque. Que quelque membre malappris s’avisât, dans l’une ou l’autre chambre, d’essayer de faire quelque chose, en présentant un bill à cet effet, ce projet de loi était enterré du coup lorsque lord Tenace Mollusque se levait et disait de sa place, d’un ton solennel devenant de plus en plus majestueusement indigné à mesure que les bravos ministériels retentissaient autour de lui : « Il me restait encore à apprendre, Mylords, qu’il importe au ministre d’une nation libre de mettre des bornes à la philanthropie, de restreindre la charité, d’entraver l’ardeur publique, d’imposer des limites à l’esprit d’entreprise, de porter atteinte au courageux esprit d’initiative des membres de cette nation. » La découverte de cette serinette était tout bonnement celle du mouvement perpétuel en politique. Elle ne s’usait jamais, bien qu’on en tournât et retournât sans cesse la manivelle dans tous les ministères de l’État.

Il y avait encore, à côté de son noble ami et parent lord Decimus, il y avait ce William Mollusque, qui avait formé une si mémorable coalition avec Tudor Des Échasses, et qui avait aussi inventé une nouvelle recette pour tout entraver, dont il était toujours