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LA


PETITE DORRIT




LIVRE II

RICHESSE


CHAPITRE PREMIER

Les compagnons de voyage


Par une soirée d’automne, les ténèbres et la nuit montaient lentement le long des pics les plus élevés des Alpes.

C’était l’époque des vendanges dans les vallées du passage du grand Saint Bernard, du côté de la Suisse, et sur les bords du lac de Genève. L’atmosphère était chargée de l’odeur du raisin cueilli. Des paniers, des auges et des baquets pleins de raisin traînaient devant les portes du village obscurci, encombrant les rues étroites et montueuses. Toute la journée on n’avait fait qu’apporter du raisin le long de chaque route et de chaque sentier. Partout on voyait à terre du raisin renversé et écrasé sous les pieds du passant. L’enfant, suspendu sur l’épaule de la paysanne rentrant chez elle d’un pas fatigué, était calmé au moyen d’un raisin ramassé sur la route. L’idiot, assis sous l’auvent d’un chalet, réchauffant au soleil son énorme goitre, mordait à même la grappe ; l’haleine des vaches et des chèvres sentait les feuilles et les bourgeons de vigne ; les gens attablés dans tous les petits cabarets mangeaient, buvaient, parlaient raisin. Quel dommage que cette généreuse abondance ne suffise pas pour rendre le vin du pays moins maigre, moins âpre,