Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/104

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Clennam finit par reconnaître qu’il aurait autant valu s’adresser au portrait qu’à M. Casby lui-même pour obtenir quelque assistance.

« Monsieur Casby, pourriez-vous, pour la satisfaction des amis dont j’ai parlé (et sous le sceau du secret, si vous pensez qu’il soit de votre devoir d’imposer cette condition), me donner des renseignements sur Mlle  Wade ? Je l’ai rencontrée à l’étranger et je l’ai vue chez elle, mais je ne la connais point du tout. Ne pourriez-vous me donner quelques détails sur elle ?

— Aucuns, répliqua M. Casby secouant sa grosse tête avec sa bienveillance la plus patriarcale. Aucuns. Quel grand dommage qu’elle soit partie si tôt, ou que vous soyez venu si tard ! en ma qualité d’agent d’affaires, j’ai de temps à autre remis diverses sommes d’argent à cette dame. Mais à quoi cela vous avance-t-il, monsieur, de savoir ce mince détail ?

— À rien du tout, dit Clennam.

— À rien du tout, répéta le Patriarche au visage luisant, qui continuait à adresser au feu un sourire philanthropique. Très-sagement répondu, monsieur Clennam. Cela ne vous avance à rien du tout. »

La façon dont il faisait tourner ses pouces indiquait si clairement à Arthur que M. Casby ferait tourner de même la conversation dans un cercle infranchissable sans lui laisser faire un pas, qu’il se tint pour décidément convaincu qu’il avait perdu son temps à interroger le Patriarche. Il pouvait y songer à loisir, car M. Casby, habitué depuis tant d’années à faire son chemin sans s’occuper d’autre chose que de donner un aspect vénérable à ses bosses et à ses cheveux blancs savait que le secret de sa force était dans son silence : il se tenait donc là à tourner ses pouces et à donner à chacune des bosses de son crâne un air aussi bienveillant que possible.

Découragé par ce spectacle, Arthur s’était levé pour partir lorsque, du fond de ce dock où Pancks, le remorqueur, se réfugiait quand il n’était pas armé en course, on entendit sortir un bruit qui semblait indiquer que ce petit vapeur se dirigeait vers la salle à manger. Arthur remarqua que le bruit avait commencé d’une façon démonstrative à une certaine distance, comme si M. Pancks cherchait à faire comprendre à quiconque se donnerait la peine de songer à lui, qu’il arrivait de trop loin pour avoir pu entendre un mot de la conversation.

M. Pancks et lui échangèrent une poignée de main. Le bohémien apportait à son patron quelques lettres à signer. M. Pancks, après la poignée de main, s’était contenté de se gratter le sourcil avec son index gauche et de renifler une fois ; mais Clennam, qui le comprenait mieux qu’autrefois, devina que le commis allait avoir bientôt terminé sa journée, et désirait lui parler dehors. Après avoir pris congé de M. Casby (et de Flora, ce qui fut moins facile), il se promena lentement dans la direction que devait suivre M. Pancks.

Au bout de quelques instants le bohémien parut.