Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/112

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qui s’ensuivit, Jérémie se tint debout, se caressant le menton et considérant Arthur comme s’il cherchait le moyen de lui arracher ses pensées avec un tire-bouchon.

Au bout de quelque temps, le visiteur, que le silence commençait à agacer, se leva et alla se placer devant la cheminée, le dos au feu sacré qui brûlait là depuis tant d’années. Alors Mme  Clennam, remuant une de ses mains pour la première fois pour adresser à son fils un geste d’adieu, lui dit :

« Veuillez nous laisser à nos affaires, Arthur.

— Mère, j’obéis, mais à contre-cœur.

— À contre-cœur ou autrement, veuillez-nous laisser, répondit la mère. Revenez dans un moment, lorsque vous regarderez comme un devoir de passer une triste demi-heure auprès de moi. Bonsoir. »

Elle lui tendit ses doigts enveloppés de flanelle, afin qu’il pût les toucher avec les siens selon leur habitude, et il se pencha au-dessus du fauteuil à roulettes pour embrasser la malade. Il lui trouva, ce soir-là, la joue plus tendue et plus froide qu’à l’ordinaire. En se redressant, il suivit la direction des yeux de sa mère qui regardait toujours Blandois, et l’ami de M. Flintwinch fit claquer ses doigts avec un geste de mépris.

« M. Flintwinch, dit Clennam, c’est avec beaucoup de surprise et beaucoup de répugnance que je laisse votre… votre ami dans la chambre de ma mère. »

L’ami en question fit encore une fois claquer ses doigts.

« Bonsoir, mère.

— Bonsoir.

— J’avais une fois un ami, mon cher camarade Flintwinch, dit Blandois en écartant les jambes devant la cheminée (il était si clair qu’il disait cela pour Clennam, que celui-ci se tint un instant sur le seuil pour l’entendre) ; j’avais une fois un ami qui avait entendu raconter tant de terribles histoires de ce quartier-ci et de ce qui s’y passe, qu’il ne s’y serait pas risqué le soir avec deux personnes qui auraient eu quelque intérêt à le faire disparaître… non, ma foi ! pas même dans une maison aussi respectable que celle-ci… À moins qu’il ne fût de force à lutter contre eux. Bah ! c’était un fameux poltron, Flintwinch ! n’est-ce pas ?

— Un roquet, monsieur.

— Soit ! un roquet ! Mais il ne l’aurait pas fait, mon Flintwinch, s’il n’avait pas su qu’ils pouvaient bien avoir le désir de lui fermer la bouche, mais qu’ils n’en avaient pas le pouvoir. Il n’aurait pas bu un verre d’eau, en pareille circonstance… pas même dans une maison aussi respectable que celle-ci, mon Flintwinch… à moins d’avoir vu l’un d’eux y boire avant lui, et avaler quelques gorgées encore ! »

Dédaignant de répondre, et du reste incapable de le faire, car il étouffait presque d’indignation, Clennam ne fit que lancer un coup d’œil au visiteur avant de s’éloigner. Celui-ci fit de nouveau claquer ses doigts en signe d’adieu, et son nez descendit sur sa mous-