Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/115

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comme moi), par suite de son caractère capricieux et mécontent, M. Gowan ne s’occupe pas assez de sa profession. Il manque de patience et de persévérance ; il commence une chose et la laisse là, il l’abandonne ou la termine sans y tenir le moins du monde. Lorsque je l’entendais causer avec papa pendant les séances, je ne pouvais pas m’empêcher de me demander si ce n’était pas parce qu’il ne croit pas en lui-même, que M. Gowan ne croit pas aux autres. Me suis-je trompée ? Je voudrais bien pouvoir deviner ce que vous penserez de ces remarques ! Je vois d’ici l’air que vous allez prendre, et j’entends presque le ton de voix dont vous me répondriez, si nous causions ensemble sur le pont suspendu.

« M. Gowan va beaucoup dans ce qu’on appelle la meilleure société de Rome (il n’a pas pourtant l’air de s’y amuser beaucoup, lorsqu’il y est), et sa femme l’accompagne parfois, mais depuis quelque temps elle sort très-peu. Je crois avoir remarqué qu’on ne parle pas d’elle avec la considération qu’elle mérite. Des dames qui n’auraient jamais songé à accepter M. Henry Gowan pour mari ou pour gendre, n’en ont pas moins l’air de croire que sa femme, en l’épousant, a fait un coup de partie magnifique. Puis, il va beaucoup à la campagne faire des études ; partout enfin, où il y a des visiteurs, il trouve un grand nombre de connaissances. Il y a aussi un ami avec lequel il passe beaucoup de temps soit chez lui, soit hors de chez lui, bien qu’il traite cet ami fort cavalièrement et se montre d’humeur assez changeante envers lui. Je sais (d’autant mieux qu’elle me l’a dit) que Mme  Gowan ne peut pas le souffrir. Quant à moi, il m’est tellement odieux que je me sens toute soulagée d’apprendre qu’il a quitté Rome pour quelque temps. Jugez du plaisir que ce départ doit lui causer, à elle !

« Mais ce que je tiens surtout à vous faire savoir, ce qui m’a enhardie à vous en dire si long, au risque de vous causer quelque inquiétude, sans cause réelle, le voici : Elle est si fidèle et si dévouée, et elle sait si bien que l’amour et le devoir l’attachent à tout jamais à son mari, que vous pouvez être convaincu qu’elle l’aimera, l’admirera, fera son éloge, et cachera tous ses défauts jusqu’au jour où elle mourra. Je crois même qu’elle les cache et les cachera toujours à tout le monde, à commencer par elle. Elle lui a donné un cœur qu’elle ne pourra jamais lui reprendre et quelles que soient les épreuves qu’elle ait à subir, son affection sera toujours la plus forte. Vous savez si c’est vrai, comme vous savez tout, mille fois mieux que moi ; mais je ne puis m’empêcher de vous raconter son admirable nature, et de vous dire que vous ne sauriez jamais avoir trop bonne opinion d’elle.

« Je ne l’ai pas encore appelée par son petit nom dans cette lettre, mais nous sommes si bonnes amies maintenant, que je ne la nomme pas autrement lorsque nous sommes seules, et elle me donne aussi mon vrai nom… je ne veux pas dire mon nom de baptême, mais celui que vous m’avez donné. Lorsqu’elle a com-