Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/132

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pas qu’un homme seul puisse suffire à cette entreprise. Mais si vous vous chargez d’acculer dans le dernier salon où il paraît si profondément occupé, je me charge d’amener mon cher Merdle auprès de lui, sans lui laisser le moyen de s’éclipser.

— Convenu ! dit Ferdinand.

— Convenu ! répéta l’Honneur du barreau. »

Ce fut un merveilleux et imposant spectacle que de voir l’Honneur du barreau, balançant gentiment son binocle au bout d’un ruban noir et saluant plus gentiment encore tout un peuple de jurés, arriver par le plus grand des hasards auprès du millionnaire et saisir cette occasion pour lui parler d’une petite difficulté à propos de laquelle il désirait avoir l’opinion d’un homme aussi pratique, aussi éclairé que M. Merdle. (Sur ce, il prit le bras de cet homme éclairé et l’emmena doucement vers le salon voisin.) Un banquier que nous nommerons A. B. avance une somme considérable que nous nommerons quinze mille livres sterling, à un client de l’Honneur du barreau que nous nommerons P. Q. (Comme on se rapprochait de lord Décimus, l’avocat serra le bras de M. Merdle.) En garantie du remboursement de cette somme prêtée à P. Q. que nous nommerons une veuve, on a déposé entre les mains d’A. B. les titres de propriété d’un bien-fonds que nous nommerons Blinkiter Doddles. Or, voici ce qu’il s’agît de savoir. Le fils de P. Q., déjà plus que majeur et que nous nommerons X. Y., avait sur les forêts de Blinkiter Doddles certains droits d’abattage et de… Mais c’est vraiment impardonnable ! En présence de lord Décimus, obliger notre hôte à écouter une ennuyeuse question de droit… c’était vraiment impardonnable ! Il reprendrait l’entretien une autre fois. L’Honneur du barreau déclara qu’il se sentait tout confus et qu’il ne dirait pas un mot de plus de cette affaire. M. l’évêque serait peut-être assez bon pour lui accorder quelques minutes d’entretien ?

Il venait de déposer M. Merdle sur une causeuse, à côté de lord Décimus, et la conférence allait s’ouvrir. C’était le moment ou jamais.

Les autres convives, émus et intéressés (sauf l’évêque qui continuait à ne pas avoir la moindre idée de ce qui se passait), formèrent un groupe autour de la cheminée du salon voisin, et feignirent de causer d’une foule de choses insignifiantes, tandis que les yeux et la pensée de chacun se tournaient en secret vers les deux plénipotentiaires isolés. Les membres du chœur parlementaire paraissaient fort agités ; peut-être craignaient-ils qu’on ne disposât de quelque bonne sinécure qu’ils regardaient comme leur propriété. L’évêque était le seul invité qui conservât assez de sang-froid pour soutenir une conversation suivie. Il s’entretint avec le célèbre médecin au sujet des maux de gorge auxquels étaient sujets les jeunes membres du clergé officiant, et lui demanda le meilleur moyen de parer à cette espèce d’épidémie cléricale. Le célèbre docteur, en thèse générale, fut d’avis que le meilleur moyen était d’obliger les jeunes ministres