Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/135

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échafaudages ou les toits où il travaillait, qu’on lui avait dit que M. Merdle était le seul individu, voyez-vous, capable de nous faire obtenir ce que nous désirons tous, voyez-vous, et de nous mettre à notre aise, chacun chez nous. On se disait (à voix basse) que M. Baptiste, seul et unique locataire des Plornish, avait l’intention de placer dans les entreprises infaillibles de M. Merdle les économies que ses habitudes frugales lui permettaient d’amasser. Les dames de la cour du Cœur-Saignant, lorsqu’elles venaient chercher leurs onces de thé ou leurs quintaux de cancans, donnaient à entendre à Mme  Plornish, comme quoi, madame, elles savaient par leur cousine Marie-Anne, qui travaillait dans la couture, que Mme  Merdle avait assez de robes pour remplir trois diligences ; qu’on serait bien embarrassé pour trouver (n’importe où, madame), une plus belle femme. Quant à son busque, madame, on dirait que c’est du marbre. Comme quoi, madame, c’était son fils d’un premier mariage à qui on venait de donner une place dans le gouvernement ; comme quoi son premier mari avait été général : il avait marché contre l’ennemi, couronné par la victoire, s’il fallait en croire le bruit général. Comme quoi on racontait que M. Merdle avait répondu en propres termes aux ministres que, si on avait pu s’arranger pour lui céder tout le gouvernement, il l’aurait accepté sans espoir de profit, mais qu’il ne pouvait le prendre à perte. Quoiqu’il n’eût pas à craindre, madame, qu’il pût y perdre grand’chose, car on pouvait dire sans mentir qu’il marchait sur l’or. Comme quoi, pourtant, il est bien à regretter qu’on ne se soit pas arrangé pour que M. Merdle se décidât à s’en charger ; car il n’y avait que lui et les gens comme lui pour savoir combien le pain et la viande avaient augmenté, et il n’y avait que lui et les gens comme lui pour faire baisser le prix de ces denrées.

La fièvre d’enthousiasme faisait de tels ravages dans la cour du Cœur Saignant, que les visites mêmes de M. Pancks venant toucher ses loyers hebdomadaires ne calmaient pas les malades. Seulement la maladie prenait alors une forme assez singulière et poussait ceux qui en étaient infectés à trouver des excuses et des consolations inconcevables rien que dans le nom magique de Merdle.

« Allons ! disait M. Pancks à un retardataire, payons ! et vivement !

— Je n’ai pas d’argent, M. Pancks, répondait le retardataire. Je vous dis la vérité toute pure, je vous assure qu’il n’y a pas seulement cinq pence dans la maison.

— Ça ne peut pas aller comme ça, vous savez, ripostait M. Pancks. Vous ne supposez pas que nous puissions nous contenter de ça, n’est-ce pas ? »

Le retardataire reconnaissait, avec un « non, monsieur, » découragé, qu’il n’entretenait aucune espérance de ce genre.

« Mon propriétaire ne va pas se contenter de ça, vous savez, poursuivait M. Pancks. Ce n’est pas pour ça qu’il m’envoie ici. Allons ! payez ! »