Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/146

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— Je crois bien, monsieur ! répliqua Pancks d’un ton plein de confiance, en lançant une bouffée. Je n’ai qu’un regret, c’est que ce ne soit pas plutôt deux mille. »

Or, un double sujet de préoccupation pesait lourdement ce soir-là sur l’esprit solitaire de Clennam : l’un était l’espoir si longtemps différé de son associé ; l’autre, ce qu’il avait vu et entendu chez sa mère. Grâce au soulagement qu’il trouvait dans la société de Pancks et à la certitude qu’il avait de pouvoir se fier à lui, il passa à ces deux sujets qui, tous deux, le ramenèrent avec beaucoup de vitesse et de force au point de départ.

La chose arriva de la façon la plus simple du monde. Laissant là M. Merdle et ses spéculations, après avoir contemplé quelque temps le feu à travers la fumée de sa pipe, il raconta à Pancks comment et pourquoi il avait une si rude besogne à démêler avec cette institution nationale qu’on nomme le ministère des Circonlocutions.

« Ç’a été bien dur pour Doyce et ce l’est encore, dit-il en terminant avec toute l’honnête et sympathique indignation que ce sujet réveillait en lui.

— Bien dur en effet, répondit Pancks ; mais vous gérez pour lui, monsieur Clennam ?

— Comment l’entendez-vous ?

— C’est vous qui avez le placement des fonds ?

— Oui. Je les place de mon mieux.

— Placez-les mieux encore, monsieur. Récompensez-le de ses travaux et de ses nombreuses déceptions. Faites-le participer aux chances du moment. Ouvrier patient et préoccupé, il ne songerait jamais de lui-même à en profiter. Il compte sur vous pour cela.

— Je fais de mon mieux, Pancks, répondit Clennam un peu troublé. Quant à peser et à examiner à fond ces nouvelles entreprises dont je n’ai aucune expérience, je doute que je sois capable d’entreprendre cette tâche. Je me fais vieux.

— Vieux ? s’écria Pancks. Ha ! ha ! »

Il y avait une intonation si sincère dans le merveilleux rire et dans la série de reniflements que cette idée venait d’exciter chez Pancks, et dans l’énergie avec laquelle il la repoussait, qu’il n’y avait pas moyen de croire qu’il n’y allât pas bon jeu, bon argent.

— Vieux ? s’écria Pancks. Allons donc ! allons donc ! Vieux ! Par exemple ! »

L’incrédulité obstinée qu’exprimaient les reniflements continus de Pancks, accompagnés de ces exclamations, obligea Arthur de renoncer à lui faire accepter un seul instant cette idée. D’autant plus qu’il craignait qu’il n’arrivât quelque chose à Pancks dans la lutte violente qui s’établissait entre l’air qu’il exhalait si énergiquement et la fumée qu’il aspirait avec une égale énergie. L’abandon de ce premier sujet le poussa à aborder le second.

« Ou jeune, ou vieux, ou entre deux âges, Pancks, reprit-il, profitant d’un silence favorable, je ne m’en trouve pas moins dans une situation d’esprit pleine d’inquiétude et de doutes, qui me fait