Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/152

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« Nous allons en causer.

— C’est ça, ma chère, reprit Fanny essuyant ses larmes, causons-en. Me voilà raisonnable et tu vas me conseiller. Veux-tu me donner un conseil, ma chère enfant ? »

Cette idée fit sourire Amy elle-même, mais elle répondit :

« Oui, Fanny ; je te conseillerai de mon mieux.

— Merci, ma petite chérie, répliqua Fanny en l’embrassant. Tu es mon ancre de salut. »

Ayant de nouveau embrassé son ancre de salut avec beaucoup d’effusion, Fanny prit sur la toilette un flacon d’eau de Cologne et appela sa femme de chambre pour lui demander un mouchoir de batiste. Puis, après avoir permis à la suivante d’aller se coucher, elle continua à demander conseil, se tamponnant les yeux et le front de temps en temps pour les rafraîchir.

« Mon trésor, commença Fanny, nos caractères et notre façon d’envisager les choses se ressemblent assez peu… (embrasse-moi encore, ma chérie)… pour que tu ne t’étonnes pas de ce que je vais te dire. Ce que j’ai à te dire, ma chère, c’est que, malgré notre fortune, nous avons, socialement parlant, à lutter contre de grands désavantages. Tu ne comprends pas tout à fait ce que j’entends par là, Amy ?

— Sans doute je te comprendrai mieux, répondit doucement la petite Dorrit, lorsque tu m’auras dit quelques mots de plus.

— Eh bien, ma chère, ce que je veux dire c’est, qu’après tout, nous ne sommes que des intrus dans le monde fashionable.

— Je suis bien sûre, Fanny, interrompit la petite Dorrit dans son enthousiasme admirateur, qu’en ce qui te concerne personne ne s’en douterait.

— C’est possible, ma chère enfant ; dans tous les cas, c’est très-gentil et très-affectueux de ta part de le croire, mon trésor. (Ici elle tamponna le front de sa sœur avec son mouchoir imbibé d’eau de Cologne et souffla légèrement dessus.) Mais on sait que tu es le meilleur petit être qui ait jamais existé ! revenons à nos moutons, mon enfant. Papa a tout à fait les manières et l’éducation d’un gentleman, mais il diffère sous certains rapports des autres gentlemen de son rang : en partie à cause de ce qu’il a eu à souffrir, pauvre cher homme, en partie, si je ne me trompe, parce qu’il se figure souvent que les autres pensent à son passé en causant avec lui. Notre oncle, ma chérie, n’est pas présentable. C’est une digne âme et je lui suis tendrement attachée ; mais, socialement parlant, c’est dégoûtant. Édouard est affreusement dépensier et dissipé. Non qu’il y ait rien là qui ne soit fort comme il faut… au contraire… seulement, il ne se comporte pas en mauvais sujet du grand monde, si je puis m’exprimer ainsi, il n’obtient pas pour son argent l’espèce de réputation qui s’attache au genre de vie qu’il mène.

— Pauvre Édouard ! » soupira la petite Dorrit.

Ce soupir résumait toute l’histoire de la famille.

« Oui, et pendant que tu y es, tu pourrais aussi bien dire pauvre