Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/163

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— Je veux dire, papa, que si par hasard Mme  Général nourrissait quelques projets matrimoniaux pour son propre compte, il y a bien là de quoi occuper tout son temps sans se mêler des miens. Si elle n’en nourrit pas, tant mieux ; dans tous les cas, je ne tiens nullement à l’honneur de lui annoncer officiellement mon mariage.

— Pourquoi pas, Fanny ? Permettez-moi de vous le demander.

— Parce qu’elle peut très-bien faire cette découverte par elle-même. Elle n’a pas, que je sache, ses yeux dans sa poche. Ce n’est pas d’aujourd’hui que je m’en aperçois. Qu’elle monte à son observatoire, et si elle n’est pas assez habile pour découvrir la chose à elle toute seule, eh bien, elle l’apprendra le jour de mon mariage. Et j’espère que vous ne m’accuserez pas de manquer à la piété filiale, si je vous dis, papa, que selon moi, ce sera toujours assez tôt pour elle.

— Fanny, je suis surpris… je suis mécontent de… hem !… l’animosité capricieuse et incompréhensible que semble vous inspirer… hem !… Mme  Général.

— Je vous en prie, papa, ne parlez pas d’animosité, car je vous assure que je ne trouve pas que Mme  Général mérite de m’inspirer de l’animosité. »

À cette réponse, M. Dorrit quitta sa chaise avec un air de reproche sévère, et se tint debout, drapé dans sa dignité, devant sa fille. Celle-ci faisant tourner le bracelet qui ornait son bras, tantôt levant les yeux sur lui et tantôt les baissant, répliqua :

« Très-bien, papa. Je suis vraiment désolée de vous déplaire, mais ce n’est pas ma faute. Je ne suis plus une enfant, je ne suis pas Amy, et il faut que je dise ma façon de penser.

— Fanny, fit M. Dorrit avec effort et après un silence majestueux, si je vous prie de rester ici, tandis que j’annoncerai officiellement moi-même à Mme  Général, en sa qualité de dame exemplaire qui est devenue… hem !… un membre de notre famille… le… ah !… changement projeté ; si non-seulement… je… hem !… vous prie de rester, mais… ah !… vous l’ordonne…

— Oh ! papa, interrompit Fanny avec une intention marquée, si vous y tenez tant que cela, il ne me reste plus que d’obéir. Mais j’espère que vous ne m’empêcherez pas de penser ce que je voudrai, car vraiment cela me serait plus impossible que jamais. »

Fanny s’assit donc avec un air de soumission qui ressemblait assez à un défi : on sait que les extrêmes se touchent. Son père, dédaignant de répondre, ou ne sachant que dire, sonna M. Tinkler.

« Mme  Général. »

M. Tinkler, peu habitué à recevoir des ordres aussi laconiques relativement à l’aimable vernisseuse, attendit. M. Dorrit, voyant dans l’hésitation de son domestique un souvenir et un reproche de la prison et des Témoignages d’autrefois, s’écria :

« Eh bien ! Pourquoi n’obéissez-vous pas ? Qu’est-ce que cela signifie ?