Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/176

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Quelle commotion profonde dans le bureau de l’hôtel ! Merdle ! L’hôte, bien que ce fût un gentleman d’un caractère hautain, qui venait d’arriver en ville conduisant un attelage de deux chevaux pur sang, sortit pour l’accompagner jusqu’au haut de l’escalier. Les commis et les domestiques se cachaient dans l’embrasure des portes, dans les couloirs, aux encoignures, et flânaient (par hasard), à chaque détour, afin d’apercevoir le célèbre millionnaire Merdle ! Soleil, lune, étoiles, avez-vous jamais éclairé un plus grand homme ! Le millionnaire qui avait en quelque sorte rectifié le Nouveau Testament, car sans quitter la terre, il était déjà monté dans le royaume des cieux ! L’homme qui pouvait avoir qui il voulait à sa table, et qui avait gagné tant d’argent ! Tandis qu’il montait, une foule de gens prenaient déjà position au bas de l’escalier afin que l’ombre du célèbre capitaliste tombât sur eux lorsqu’il sortirait. C’est ainsi que l’on portait les malades sur le chemin de l’Apôtre, et encore cet apôtre-là n’avait pas été reçu dans la meilleure société, comme Merdle, ni gagné de l’argent comme lui.

M. Dorrit, vêtu de sa robe de chambre et journal en main, était en train de déjeuner. Le courrier, d’une voix agitée, annonça :

« M’sieu Mairdale ! »

M. Dorrit se leva d’un bond, son cœur battait bien fort.

« M. Merdle, c’est… ha !… vraiment un honneur inespéré. Permettez-moi de vous exprimer… hem !… combien j’apprécie cette… ha hem !… flatteuse marque d’attention. Je n’ignore pas, monsieur, que votre temps a une… hem !… valeur énorme (M. Dorrit ne put pas faire ronfler comme il aurait voulu, le mot énorme). Daigner… ha !… m’accorder à une heure si matinale, quelques-uns de vos précieux instants, c’est… hem !… un honneur qui m’inspire une vivre reconnaissance. »

M. Dorrit était si reconnaissant qu’il tremblait en remerciant le grand homme.

M. Merdle prononça, de sa voix de ventriloque un peu contenue et un peu hésitante, quelques mots qui ne signifiaient rien : il termina en disant :

« Je suis charmé de vous voir, monsieur.

— Vous êtes bien bon, répliqua M. Dorrit ; vraiment trop bon. »

On avait déjà avancé un siège pour l’illustre visiteur qui, après s’être assis, passait sa grosse main sur son front épuisé.

« J’espère que vous vous portez bien, monsieur Merdle ? ajouta M. Dorrit.

— Aussi bien que… oui, je me porte aussi bien qu’à l’ordinaire, répondit le banquier.

— Vous devez être immensément occupé ?

— Assez. Mais… Oh non, je n’ai pas grand’chose, dit M. Merdle regardant tout autour de la chambre.

— Un peu de dyspepsie ? insinua M. Dorrit.

— C’est possible. Mais je… oh ! je vais assez bien. »

On voyait à l’endroit où les lèvres de M. Merdle se rejoignaient,