Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/237

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Clennam recula comme s’il venait de recevoir un coup, tant il fut effrayé de songer que sa mère avait des rapports avec cet homme. Cavalletto se laissa tomber sur un genou et le supplia, avec force gesticulations, d’écouter comment il se faisait qu’il s’était trouvé en si mauvaise compagnie.

Il raconta avec beaucoup de sincérité comment c’était à la suite d’une tentative de contrebande de sa part ; comment, après avoir recouvré sa liberté, il avait rompu avec ses antécédents ; comment, dans une auberge de Châlon-sur-Saône, Au Point du Jour, il avait été réveillé par ce même assassin, qui prenait alors le nom de Lagnier, bien qu’auparavant il se fût appelé Rigaud ; comment l’assassin lui avait proposé de s’associer avec lui ; mais il le craignait et le détestait tant, qu’il s’était enfui de l’auberge avant le jour, tremblant toujours depuis de voir apparaître l’assassin qui pourrait venir le réclamer pour son ami. Tandis qu’il achevait ce récit avec beaucoup de vivacité, et en appuyant d’une façon tout italienne sur le mot assassin (ce qui ne contribuait pas à le rendre moins terrible pour Clennam), il se redressa tout à coup, se jeta de nouveau sur l’affiche, et répéta avec une véhémence qu’on eût prise pour de la folie chez un homme du Nord :

« C’est bien ce même assassin. C’est lui ! »

Dans cet élan d’indignation, il avait d’abord oublié qu’il avait récemment aperçu l’assassin à Londres même. Lorsqu’il se rappela ce fait, Arthur espéra d’abord que c’était un fait postérieur à la dernière visite que Blandois ou Lagnier ou Rigaud avait rendue à Mme  Clennam ; mais Cavalletto donna des renseignements trop précis sur l’époque et le lieu de cette rencontre pour lui laisser le moindre espoir à ce sujet.

« Écoutez, dit Arthur d’un ton très-grave. Cet homme, ainsi que nous venons de le lire, a disparu…

— Tant mieux ! s’écria Cavalletto, les yeux levés au ciel. Grâces à Dieu ! Maudit assassin !

— Non pas… car, à moins d’apprendre ce qu’il est devenu, je ne saurais avoir un instant de repos.

— En ce cas, cher bienfaiteur, c’est autre chose. Un million de pardons !

— Or, Cavalletto, ajouta Clennam, qui prit l’Italien par le bras et le fit tourner doucement jusqu’à ce qu’ils fussent bien en face l’un de l’autre, je suis convaincu que vous êtes aussi reconnaissant qu’homme au monde du peu que j’ai pu faire pour vous.

— Je le jure !

— Je le sais, Cavalletto. Si vous pouviez trouver cet homme, ou découvrir ce qu’il est devenu, ou obtenir un renseignement quelconque à son sujet, vous me rendriez le plus grand service, et je deviendrais (avec mille fois plus de raison) aussi reconnaissant envers vous que vous l’êtes envers moi.

— Je ne sais où le chercher, s’écria le petit Italien, qui baisa avec effusion la main d’Arthur. Je ne sais par où commencer. Je ne