Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/244

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ceci, reprit Mme Clennam en levant la main, et non pas moi. C’est vous, Arthur, qui, après avoir apporté ici des doutes, des soupçons, des demandes d’explication, venez maintenant y apporter des secrets. Que m’importe ce que cet hommes a été ? Que m’importe où il a été ? Qu’est-ce que cela peut me faire ? Que tout le monde le sache s’il veut, cela m’est parfaitement indifférent. Maintenant, laissez-moi retourner. »

Arthur céda à son regard impérieux mais triomphant, et ramena le fauteuil à sa place. Il lut alors dans les traits de M. Flintwinch une satisfaction qui, certainement, ne pouvait pas lui être inspirée par l’éloquence de Flora. Cet échec de ses confidences comme de tous ses efforts antérieurs qui n’avaient jamais fait que tourner contre lui-même, contribua autant que la fermeté opiniâtre de Mme Clennam à lui montrer l’inutilité de renouveler pareille tentative. Il ne lui restait plus d’autre ressource que de se retourner du côté de sa vieille amie, Mme Jérémie.

Mais c’était une entreprise des plus difficiles, que de faire naître une occasion qui permit seulement de commencer l’appel qu’il voulait lui faire. Les deux finauds inspiraient à la pauvre Affery des craintes si vives, ils exerçaient sur elle une surveillance si systématique, et la bonne dame avait si grand’peur de s’aventurer seule à travers la maison, qu’il semblait presque impossible de trouver une occasion de lui parler. D’ailleurs, les arguments pressants de son mari lui avaient si clairement démontré qu’il était dangereux pour elle de dire un mot à propos de quoi que ce fût, qu’elle restait dans son coin, tenant chacun à distance au moyen de sa longue fourchette symbolique. Aussi, chaque fois que Flora ou le Patriarche en costume vert bouteille lui avait adressé la parole, avait-elle repoussé la conversation avec son instrument de grillades, comme si elle eût été muette.

Après avoir essayé plusieurs fois, mais toujours en vain, d’attirer l’attention de Mme Jérémie, pendant qu’elle débarrassait la table et rinçait les tasses, Arthur songea à une ruse dont Flora pourrait prendre l’initiative. Il s’empressa donc de lui dire à voix basse :

« Ne pourriez-vous pas dire que vous avez envie de visiter la maison ? »

Or, la pauvre Flora, qui attendait toujours, dans des alternatives de découragement et d’espoir, le moment où Clennam rajeuni redeviendrait amoureux d’elle, accueillit cette demande avec une joie indicible, enchantée du caractère mystérieux de cette prière, et convaincue que c’était la préface d’une tendre entrevue, où Clennam allait lui dévoiler l’état de ses affections. Elle se mit tout de suite à préparer les voies.

« Hélas ! la pauvre vieille chambre, commença-t-elle avec aussi peu de virgules que jamais, en regardant tout autour d’elle, elle n’est pas changée du tout, madame Clennam… Vous ne sauriez croire comme cela m’émeut… pourtant, elle est un peu plus entamée qu’autrefois, ce qui est bien naturel, après un si grand