Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/256

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— Dans tous les cas, il ne pouvait trouver nulle part une meilleure garde-malade qu’Amy, se hasarda à dire M. Sparkler.

— Par le plus grand des hasards, nous sommes du même avis, répliqua Fanny, qui d’un air de langueur tourna un peu les paupières de son côté (car d’habitude elle avait plutôt l’air en lui parlant de s’adresser à quelque meuble du salon), et je puis même adopter les paroles dont tu t’es servi. Il ne pouvait trouver nulle part une meilleure garde-malade. La chère enfant a des moments où elle est bien impatientante pour quelqu’un qui a l’esprit actif ; mais, comme garde-malade, c’est la perfection, chère petite ! »

Edmond, encouragé par son récent succès, remarqua qu’Édouard, sapristi, s’était longtemps trouvé dans une vilaine passe.

« Si vilaine passe, répliqua Mme  Sparkler, est un terme d’argot qui signifie une dangereuse maladie, je ne te contredirai pas. Sinon, je ne puis formuler une opinion sur le langage barbare que tu emploies en parlant de la sœur d’Édouard. Qu’il ait attrapé la malaria quelque part, soit en voyageant nuit et jour jusqu’à Rome, où, après tout, il est arrivé trop tard pour voir notre pauvre cher papa avant sa mort, soit par d’autres influences insalubres, la chose est incontestable, si c’est là tout ce que tu as voulu dire. D’ailleurs, l’existence qu’il mène rend la maladie plus dangereuse pour lui que pour d’autres. »

M. Sparkler opina qu’il y avait beaucoup d’analogie entre le cas d’Édouard et celui des camarades morts de la fièvre jaune aux Indes occidentales. Mme  Sparkler ferma de nouveau les yeux, comme pour protester contre les camarades, la fièvre jaune et les Indes orientales dont elle n’avait aucun souci.

« Donc, reprit-elle en rouvrant les yeux, il faudra tirer Amy de l’état de torpeur qu’ont produit chez elle bien, bien des semaines de fatigue et d’inquiétude. En dernier lieu, nous aurons à lui faire oublier un sentiment indigne qu’elle entretient au fond de son cœur, et qu’elle croit m’avoir toujours caché. Ne me demande pas ce que c’est, Edmond, parce que je ne te le dirais pas.

— Aussi je ne te le demande pas, ma chère.

— J’aurai donc bien des choses à faire de ce côté-là, continua Fanny, et je ne saurais trop tôt avoir cette douce enfant auprès de moi. Aimable et bonne petite fée ! Quant au règlement des affaires de pauvre papa, je n’ai guère d’intérêt direct là-dedans. Papa a agi très-généreusement à mon égard lorsque je me suis mariée, et je n’ai plus grand’chose à attendre. Pourvu qu’il n’ait pas fait de testament valable qui nous oblige à donner quelque chose à Mme  Général, c’est tout ce que je demande. Cher papa ! ah ! cher, cher papa ! »

Elle se mit encore à verser quelques larmes ; mais le souvenir de Mme  Général ne tarda pas à la remettre. Elle s’essuya les yeux et reprit :

« Un détail très-encourageant de la maladie d’Édouard, qui me fait espérer qu’il n’a rien perdu de son bon sens ni de son entrain